Entretien / Alors qu'elle est en short-list pour succéder à Jean Bellorini à la tête du Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis, la metteuse en scène Julie Deliquet prend le temps de revenir pour nous sur son adaptation théâtrale du magistral film d'Arnaud Desplechin, "Un conte de Noël".
Vous avez précédemment monté des textes de théâtre (Tchekhov, Brecht, Lagarce), un téléfilm de Bergman (Fanny et Alexandre à la Comédie Française), qu'est-ce qui vous a poussé à vous pencher sur le film d'Arnaud Desplechin ?
Julie Deliquet : C'est parce que j'ai travaillé sur Fanny et Alexandre que j'ai eu cette idée. Cette pièce commence par un Noël et Un conte de Noël débute par un hommage à Fanny et Alexandre, avec un petit théâtre d'ombre. Ça m'a vraiment passionnée de travailler sur les différents supports de Fanny et Alexandre, car ça a effectivement d'abord été un scénario novellisé, puis un téléfilm en quatre épisodes, puis remonté en film. Et l'auteur, Ingmar Bergman, est un homme de théâtre. Je me suis interrogée sur l'émergence d'adaptations cinématographiques qui ont un peu envahi nos scènes ces dernières années et j'ai eu envie de poser la question à un réalisateur qui dit être influencé par le théâtre pour écrire. Et notamment Arnaud Desplechin, qui dit que lorsqu'il est sorti de la FEMIS, il savait peut-être réaliser un film mais il ne savait pas écrire de dialogue. Et qu'il est allé beaucoup au théâtre. On le ressent dans ses films et particulièrement dans Un Conte de Noël qui, par son appellation, est une hyperfiction.
Est-ce que ce matériau – le scénario du film – est très différent d'un matériau de théâtre ?
Ce qui était différent — et on ne s'en rend pas compte quand on voit un film — c'est qu'il y avait un excédent de mots, presque le double de Fanny et Alexandre ! Je ne pouvais pas le préméditer car ce sont des séquences extrêmement courtes. Il y en a 162. Et c'est très dense. Si je faisais sauter les frontières des espaces séquencés, j'avais une telle densité de dialogues qu'il fallait repenser l'ossature, en sachant que la forme — ça se passe en huis clos à Roubaix en quatre mouvements — était déjà très théâtrale. Desplechin avait pensé sa structure un peu comme une pièce de théâtre.
Pourquoi utiliser le bi-frontal ?
Je n'ai jamais osé le faire en compagnie — je ne l'ai fait qu'avec Vania à la Comédie Française car c'est quand même une tannée à tourner, une vraie complexité budgétaire et technique. Mais pour Un conte de Noël, à partir du moment où je gardais le même lieu que lui — l'intérieur de la maison de Roubaix — il fallait absolument que je change le prisme du regard. Et comme Arnaud Desplechin fait des plans à deux très serrés, j'ai voulu qu'on voie les personnages sous toutes les coutures, de dos, de face, ceux qui écoutent, ceux qui s'endorment, ceux qui ne devraient pas être là. C'est un dispositif hyper théâtral puisque même les spectateurs sont mis en scène et on sort du prisme frontal de la caméra.
Dans La Noce, Nous sommes maintenant, Mélancolie(s), c'était en frontal, mais il y avait déjà cet élément central de la table qui réunit tous les personnages. Êtes-vous surprise de retrouver cet élément au centre de cette création ?
Oui, ça m'a étonnée. Pour Un conte de Noël je me suis beaucoup questionnée sur la scénographie. Comment convoquer Roubaix ? Je savais qu'Arnaud Desplechin avait demandé à sa scénographe d'aller chez ses parents. Je n'allais pas représenter chez mes parents, mais j'ai choisi de me servir des vieux décors de mes précédents spectacles. Du coup, se sont retrouvés nos vinyles de La Noce, nos petits lits du Lagarce, les châssis de répétitions de Fanny et Alexandre. De tout ça on a fait un décor et les tables sont revenues car elles étaient présentes dans tous nos spectacles. Puisque tout est conte, alors il provient d'une mémoire de théâtre, la nôtre.
Un conte de Noël, au Radiant, du 5 au 9 février