Théâtre / Tout en amorces et en césures, "Agatha", le texte de Marguerite Duras contant un amour entre frère et sœur, trouve une résolution sans fioriture sur le plateau de Louise Vignaud.
La langue durassienne est reconnaissable entre mille. Les phrases commencent puis s'évaporent. « C'est ça... jamais... on croit la connaître comme soi-même et puis, non... » dit-il dans Agatha. Parfois, elles sont courtes et en contradiction les unes avec les autres : « tu ne peux pas savoir. Tu me tues. Tu me fais du bien. Tu me tues. Tu me fais du bien. J'ai le temps. Je t'en prie. Dévore-moi » dit-elle dans Hiroshima mon amour. À chaque fois Elle et Lui, un amour émietté qui résiste.
Mais ici, dans Agatha, publié en 1981, l'écrivaine pose le tabou de l'inceste sans jamais le juger alors que pourtant, quatre ans plus tard, elle fera de Christine Villemin une coupable « forcément sublime ». Cette neutralité est précisément ce qui suscite l'intérêt de Louise Vignaud quand elle décide de s'emparer de ce texte « sans amener de thèse au plateau » nous confiait-elle récemment.
Tu n'as rien vu à Agatha
Qu'elle monte du classique (Feydeau, Molière) ou du très contemporain (Rebibbia de Goliarda Sapienza l'an dernier), elle offre un décalage — par les costumes, le décor — légèrement désuet. Ici, elle se libère de cela. Tout est à bonne distance car elle a trouvé en Marine Behar une actrice parfaite, impériale, pour incarner la douleur de cette sœur qui a vécu avec son frère une pleine histoire d'amour mais qui vient lui annoncer, dans cette villa Agatha où les cendres de leur mère récemment décédée sont posées au sol, qu'elle part définitivement avec un autre homme.
Grave et droite, la comédienne formée au Conservatoire de Lyon est une tragédienne moderne qui sait changer de registre de jeu le temps d'une danse quand lui (Sven Narbonne) est amené à jouer trop sur la nervosité. Cet « amour criminel » tel qu'ils le reconnaissent en se vouvoyant est aussi celui de la fin d'une enfance abusée. Au milieu de quelques meubles du lieu de villégiature, reliques de l'Absente, Louise Vignaud sait donner le beau rôle aux silences de Duras, dans ce spectacle où la metteuse en scène parfait un équilibre entre ses grosses productions et ses petites formes précédentes.
Agatha
Au TNP jusqu'au vendredi 21 février