Sens Interdits / Malgré la crise sanitaire et les difficultés à circuler à travers le monde, Patrick Penot annonce que la 7e édition du festival international de théâtre Sens interdits se tiendra du 13 au 30 octobre prochain dans la Métropole de Lyon. Et le Chili sera à l'honneur. Interview et programme.
Comment la crise sanitaire percute-t-elle ce festival dédié à l'international ?
Patrick Penot : La crise a accéléré le temps — on est tous déjà en 2023, 2024. Elle va laisser des traces durables qui vont peut-être nous amener à des choses plus importantes qu'auparavant.
À l'heure actuelle, le mot "international" comporte immédiatement des ombres — ce n'est pas le moment pour la planète, pour nos économies, les compagnies d'ici souffrent... — et bien je me dis, au contraire, que c'est le moment ou jamais d'insister sur la nécessaire confrontation des cultures, des langues, des savoir-faire. On doit être plus international que jamais.
Car il est question de solidarités avec les artistes. La crise nous oblige à ne pas être auto-centrés sur nos besoins et nos statuts. On appartient à un des rares pays au monde où la culture est aidée à ce niveau-là. Je suis entouré des gens qui n'ont aucun accompagnement social : au Chili, en Afrique, au fin fond de la Russie. Cette précarité les renforce encore plus dans leur détermination à donner de la voix aux sans-voix.
Le Chili est invité d'honneur avec cinq spectacles dont trois de la même artiste, Paula Gonzàlez Seguel. Pourquoi ce pays est-il tant mis en avant ?
J'ai découvert le Chili en 2010 et je l'ai invité pour la première fois en 2011 avec Christian Plana (Comida Alemana) et avec les Mapuche (Ñi pu tremen). En 2013, deux autres représentants de la scène chilienne sont venus : Guillermo Calderon (Villa Grimaldi + Discurso), préoccupation de ceux qui n'avaient pas encore les rênes politiques, ne voulaient pas oublier le passé mais essayaient de préparer l'après et El año en que naci de Lola Arias. En 2015, c'était une autre génération : Christian Florès (Yo mate Pinochet) qui ouvre le Printemps des Comédiens cette année à Montpellier et Pablo Larrain avec Accesso qui a eu 62 dates sur les trois années qui ont suivi jusqu'à la Schaubühne à Berlin.
L'histoire de Sens interdits avec le Chili ne commence donc pas avec cette nouvelle édition du festival. Je vais découvrir des choses au festival de Santiago a Mil, le grand festival qui met sur les plateaux tout ce qui se produit au Chili, en Argentine, en Bolivie... Je voulais suivre cette scène chilienne et savoir ce que devenait cette Paula Gonzàlez Seguel depuis qu'on avait accueilli en 2011 Ñi pu tremen au TNG, un spectacle sur les Mapuche [NdlR : minorité indienne du Chili qui a choisi de lutter pour récupérer ses terres ancestrales et qui est depuis des siècles victime de discriminations] dont certains avait considéré que c'était du folklore, or pour moi c'était exactement du théâtre. Ce qui m'intéressait était de voir comment cette gamine — elle était jeune en 2011 — allait faire évoluer son projet, plus ample à mon avis qu'un projet artistique et esthétique ; c'était aussi une exigence politique.
Elle vient cette année avec Trewa (au TNP), une forme théâtrale avec 22 personnes, enquête quasi policière sur le décès d'un membre des Mapuche très investi professionnellement sur la défense de la nature. Et c'est d'une importance capitale. Leur rapport au soleil, aux arbres, au ciel, à la terre n'a rien à voir avec les nôtres. En aucun cas ça ne peut être une question de propriété, ça appartient à tout le monde. Le 16 mai dernier, les Chiliens ont voté pour les partis de gauche désireux de réécrire en profondeur la Constitution ; il y aurait 17 sièges de députés dans la nouvelle Assemblée pour les peuples premiers dont les mapuches sont majoritaires. C'est totalement nouveau. Je veux croire que le théâtre, dont j'ai toujours pensé que c'était une arme, en est une ici. Impossible de faire venir 22 personnes pour nous ici. Ca n'a été possible que parce que j'ai convaincu à l'avance d'autres directrices de salle (les scènes nationales de Sète, Foix, l'ONDA...) et que le TNP recrée le décor dans ses ateliers.
Il y aura aussi : Ül Kimvn (Au Toboggan). C'est une pièce musicale dirigée par Evelyn González Seguel.
La Mémoire bafouée (Subs), spectacle franco-chilien de Violeta Gal Rodriguez et Paula González Seguel.
Space Invaders d'après la nouvelle de Nona Fernandez (Point du Jour, Théâtre de Vénissieux), oratorio à quatre voix de femmes dont le corps est fatigué et qui font revenir le souvenir commun du moment où elles étaient à l'école sous Pinochet. C'est en résonnance complet avec ce qui se passe aujourd'hui pour les femmes dans un Chili très militarisé.
Feroz par Danilo Llanos (TNG). C'est un peu la suite d'Accesso racontée par des enfants. C'est du théâtre documentaire qui se passe dans les Sename, organismes recueillant les enfants pauvres qui avaient fait des conneries. Ce sera l'ouverture du festival.
Ce sont cinq spectacles qui complètent les six précédents et font un hommage à un pays de théâtre auquel je crois beaucoup.
Comment le festival va-t-il évoluer à l'avenir ?
Faire l'international à l'heure actuelle, ce sont des problèmes de frontières. Y'aura-t-il des quarantaines auquel cas ça rend les choses impossibles. Personne n'est à l'abri de cela. Nos partenaires prennent ces gros risques avec nous. On a, en 2021, 17 lieux partenaires et vingt spectacles prévus dont huit spectacles vont tourner en amont et en aval du festival. Notre réputation l'emporte sur la crainte et le risque. On nous fait confiance sur des spectacles qui n'ont pas été vu, notamment pour celui d'Irène Bonnaud, sur une communauté grecque romaniote (C'était un samedi) qui va aller dans la Métropole et au-delà.
Mais s'il y a deux avantages à l'aspect biennale (ça crée une attente et ça donne le temps de la préparation), les défauts sont nombreux : ça demande une concentration, une montée en puissance sur un temps long et ça nous déséquilibre car les financeurs ne comprennent pas pourquoi ils nous financent l'année off, et enfin, on perd les équipes. En 2024, je ne serai plus à la tête du festival, il faut qu'on fasse la preuve qu'il est bien à sa place et que les collectivités s'en emparent. On a un engagement réel de la Ville et et la Métropole, ça nous change un peu.
Mais au lieu de vingt spectacles tous les deux ans, on pourrait en proposer huit ou dix tous les ans. Ça nous permettrait de réagir car le temps de la programmation est long parfois, quand je découvre quelque chose et que j'annonce aux artistes que je le montrerai deux ans plus tard. Je ne prendrais pas la décision tout seul mais avec les tutelles et les partenaires.
La programmation
● Trewa, ms Paula Gonzàlez Seguel – Chili – TNP
● Ül Kimvn, ms Paula Gonzàlez Seguel – Chili – Toboggan
● La Mémoire bafouée, ms Violeta Gal Rodriguez et Paula González Seguel – Chili/ France – Subs
● Feroz, ms Danilo Llanos – Chili – TNG
● Space Invaders, ms Marcelo Leonart – Chili – Point du Jour et Théâtre de Vénissieux
● Traverses, ms Leyla-Claire Rabih – Syrie/France – Théâtre Jean-Marias (Saint-Fons)
● De ce côté, texte et ms Dieudonné Niangouna – Congo-Brazzaville/France – Célestins et théâtre de l'Elysée
● La Terre se révolte, ms Sarah Llorca – Syrie/France – Célestins
● Portraits sans paysage, ms Nimis Groupe – Belgique – Théâtre de la Croix-Rousse
● Bureau des dépositions, création collective – France – Subs
● C'était un samedi, ms Irène Bonnaud – Grèce/France – CHRD, La Mouche (Saint-Genis-Laval), Pôle en Scène (Bron), Radiant
● Le Bonheur, ms Tatiana Frolova – Russie – Célestins
● Laboratoire poison, ms Adeline Rosenstein – Belgique – TNP
● En cinq saisons Un ennemi du peuple, ms Blerta Neziraj –Kosovo – Renaissance
● Augures, ms Chrystèle Khodr - Liban – Théâtre de la Croix-Rousse
● Cartomancie du territoire, ms Philippe Ducros – Canada – Musée des Confluences
● Outside, ms Kirill Serebrenikov – Russie – Célestins
● Virus, ms Yan Duyvendak – France – Subs
● Fuck me, ms Marina Otero – Argentine – Célestins
● Immortels, ms philippe Vincent – Burkina-Faso/France - Asphodèles