Cinéma / Bousculées durant l'été par de nouvelles mesures sanitaires, les salles de cinéma se sont adaptées et ont fait mieux que résister dans un contexte difficile. Au bilan, une fréquentation en hausse, des gagnants et un moral retrouvé notamment à Lyon et Grenoble.
Revenus du diable Vauvert et de sept mois (!) de fermeture, malgré l'arsenal de mesures déployées pour préserver la sécurité de ses clients-spectateurs, et surtout l'absence de foyer de contamination avéré constaté sur leurs sites, les exploitants cinématographiques ont vécu un ascenseur émotionnel depuis leur réouverture progressive le 19 mai dernier. Soumises à des jauges variables, au couvre-feu en vigueur dans leur territoire respectif jusqu'au 20 juin, à l'inexistence d'entente et de régulation entre distributeurs (et surtout, d'arbitrage par les tutelles) quant aux sorties, les salles ont ensuite vu avec effroi resurgir la concurrence de l'été — cette envie de sortir qui supplante celle de retrouver le grand écran. Et, pis que tout, la résurgence de la pandémie assortie du variant Delta avec un cortège de nouvelles restrictions. Au programme, un énième abaissement des jauges à 50 personnes et l'instauration du passe sanitaire (ou la présentation d'un test négatif de moins de 72h) pour la clientèle âgée de plus de 18 ans à compter du mercredi 21 juillet. « On est passé sous de nouvelles fourches caudines, soupire Bernard Wolmer, directeur d'exploitation des 6 Rex à Grenoble, il a bien fallu s'adapter. »
Un choix cornélien s'est posé pour certains : soit limiter la jauge à 49 spectateurs par écran (et se priver d'entrées sur des films porteurs), soit réclamer le passe (et se priver d'entrées en refusant les spectateurs ne disposant pas encore du schéma vaccinal idoine). Choix temporaire puisqu'au 9 août, le passe ou le test devenait obligatoires. « Le public a été pris de court par les annonces et on a atteint le creux de la vague le week-end suivant le 21 juillet, se souvient Alexis Guillaume, directeur de Pathé Grand Lyon. Et puis, avec l'offre disponible (Kaamelott, suivi par OSS 117, Jungle Cruise, Suicide Squad...) c'est remonté rapidement.
Astier sur un trône
L'examen des entrées à mi-août n'a, à première vue, rien de catastrophique. Sur les agglomérations de Lyon et Grenoble, les deux premières semaines de cette période estivale traditionnellement calme montrent par comparaison aux semaines équivalentes de 2020 une progression encourageante : +83%* et +101%* pour Lyon ; +115%* et même +143%* pour Grenoble. Actant que les nouvelles contraintes ont été “digérées“ par le public et que la proposition surtout, a été suffisamment intéressante (et abondante) pour le convaincre de franchir le pas. « Les festivals de Cannes, de Fourvière et un certain nombre de magnifiques manifestations ont pu exister grâce au passe sanitaire, rappelle Alexis Guillaume. C'est un “mal” pour un bien s'il nous permet de ne plus fermer. Rien n'est pire que la fermeture et, au-delà de l'économie, que la perte de vie culturelle, de sociabilisation. »
Si l'été 2020 avait été atypique, convalescent (les cinémas relevant d'une fermeture de trois mois) le doublement de la fréquentation en 2021 rend compte d'une dynamique globale de relance. Bien sûr, il faut sans doute nuancer cette “globalité“ côté box-office. Des distributeurs et producteurs ont ainsi déploré que leurs films n'aient pu avoir la carrière escomptée. C'est le cas notamment de Onoda, 10 000 nuits dans la jungle — film fleuve magistral d'une puissance épique égale à sa radicalité épurée signé Arthur Harari — qui comptabilisait au 10 août 32 975 entrées* en troisième semaine sur 107 copies, ou dans un autre registre de Titane de Julia Ducournau, plafonnant à 225 542 entrées* en quatrième semaine sur 323 copies à la même date, cela malgré une Palme d'Or on ne peut plus prescriptrice ! On comprend d'autant mieux le désarroi des financeurs de films qui auraient pu, “en temps ordinaire”, profiter à la rentrée de l'appoint des salles indépendantes et d'agglomération. Seulement, l'afflux de films sera tellement important dès septembre que ces dernières auront aussi à absorber une partie des exclusivités. Il reste à Onoda et Titane une ultime cartouche : la période avant et après les César. Sans être grand clerc, on peut gager qu'ils en seront les triomphateurs — au moins en nominations...
Espérons toutefois qu'ils laisseront des places à celui qui règne en maître sur les entrées de cet été, Kaamelott, comptant 2 121 858** spectateurs en quatre semaines (OSS 177 en affiche 982 356** en deux, Fast & Furious 9 et Black Widow, respectivement 1 891 361** et 1 640 376** en cinq), et va sous peu dépasser Tenet, champion 2020. Même si l'on peut chipoter sur son score en valeur absolue, ce résultat est à la fois un triomphe personnel pour Alexandre Astier validant son obstination, mais aussi un formidable euphorisant pour le 7e Art hexagonal ainsi qu'une locomotive pour le public. Tous les signaux sont au vert : « les préventes pour Hallucinations Collectives et pour la venue de Mathieu Amalric dès l'envoi de notre newsletter montrent qu'il y a une attente », confirme Frédérique Duperret, directrice du Comœdia. « Et le James Bond en octobre va bien aider », ajoute Bernard Wolmer. Ultime preuve de la confiance des salles ? Pathé lance à Lyon Bellecour un équipement unique au monde combinant écran Onyx LED et son Dolby Atmos, « parce que c'est à nous de faire préférer le cinéma sur grand écran aux plateformes ». La salle n'a donc pas livré sa dernière image...
Sources : * Le Film Français, ** CBO-Box Office