Théâtre / En tant que directeur du TNP, Jean Bellorini a été en charge d'organiser ce centenaire, il lui incombe d'amorcer le suivant. Voici ses pistes de réflexions à ce sujet.
Quelle est votre contribution la plus forte à vos yeux pour amorcer le deuxième siècle de vie du TNP ? La Troupe éphémère ?
Jean Bellorini : Le TNP est né il y a cent ans avec l'intuition qu'il fallait amener les œuvres au plus proche des spectateurs. C'était l'enjeu du théâtre national ambulant de Firmin Gémier. De grandes machines à vapeur transportaient un chapiteau/théâtre qui était monté pour accueillir 1650 spectateurs. C'était la décentralisation théâtrale qui commençait. Aujourd'hui la France est dotée de grands équipements culturels et l'enjeu de démocratisation de l'art et de la culture n'est plus uniquement lié à la possibilité d'accéder à un spectacle fini. L'intérêt aujourd'hui, je crois, est de favoriser les espaces de rencontres entre artistes et spectateurs, notamment pendant des phases de recherche et de création. L'art n'est pas un produit, il ne se consomme pas et n'agit pas directement sur le monde. Il diffuse invisiblement un questionnement et laisse apparaître l'idée de la nuance et de la complexité, ou plus simplement la poésie. Je crois à la nécessité d'une porosité entre le monde et l'art. Je crois à la complémentarité entre l'art et l'éducation. Sans jamais renoncer à la plus haute exigence artistique, bien au contraire, il s'agit quand on dirige un théâtre public de tout faire pour favoriser la rencontre entre l'œuvre et le public, permettre l'accès à l'émerveillement et donner aux citoyens de demain la capacité de regard critique. Oui, je crois que beaucoup de notre mission se joue au moment de l'adolescence, quand l'être humain est en construction et apprend à se connaître, à se reconnaître. Un exemple concret de cette mise en relation directe entre artistes et amateurs, c'est effectivement la Troupe éphémère, constituée de jeunes gens entre 15 et 20 ans. Ils travaillent à une véritable création et découvrent le théâtre de l'intérieur.
Le TNP de demain sera-t-il plus féminin (à part Jeanne Laurent, elles ont manqué jusque-là) ?
Oui, Jeanne Laurent n'est pas suffisamment mise à l'honneur. On lui doit une grande partie de la construction du théâtre public français, avec notamment la décentralisation théâtrale et la nomination de Jean Vilar au TNP en 1951. Ce n'est pas rien ! D'une certaine manière, je voudrais que les festivités du Centenaire du TNP lui soient dédiées. Les femmes artistes aussi nous ont manqué, c'est évident. Et pas qu'au TNP ! Il y en a eu quand même, citons au moins l'immense figure de Pina Bausch. Cette saison, il se trouve qu'il y a plus de femmes que d'hommes programmées. On peut s'en réjouir. Mais je ne sais pas si nous réussirons à maintenir cet équilibre à chaque fois. Les artistes sont d'abord programmés pour ce qu'ils représentent artistiquement. Pas de complaisance. Un artiste est d'abord un artiste. Ce n'est pas un genre et encore moins une minorité. Je ne voudrais pas tomber dans une forme de bien-pensance... Il y a beaucoup à dire en la matière et ce débat est riche.
Sera-t-on toujours assis à côté d'un inconnu dans le noir pour voir des artistes vivants (alors que les écrans individuels ont tout envahi durant ce confinement) ?
Je me dois d'être optimiste. Le théâtre n'a jamais cessé d'exister. Depuis des millénaires, les hommes et les femmes ont eu besoin du vivant. La dématérialisation ne remplace rien. Peut-être même qu'au contraire elle redonne de la valeur à la cérémonie théâtrale. Évidemment, on peut craindre les mauvaises habitudes prises après une période d'isolement comme celle que nous avons vécu. Cela ne fait que raviver l'exigence première du ministère de la Culture qui, au moment de sa création en 1959, s'inspirant largement du projet du TNP, voulait « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l'humanité » et « favoriser la création des œuvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent ». Un défi toujours d'actualité.