Politique / Un sénateur qui cite Laurent Garnier, qui défend au fil des mois et de ses interventions le monde de la nuit et les musiques électroniques, y compris les raves ? Ce discours est encore peu fréquent. On en discute avec l'intéressé, Thomas Dossus, étiquetté EELV et ancien DJ amateur.
Vous êtes intervenu plusieurs fois ces derniers mois au sujet des musiques électroniques et de la vie nocturne au Sénat, à propos de la crise Covid au départ, mais en allant plus loin ensuite, en défendant l'aspect culturel des clubs. C'est un combat mené en particulier par le collectif Bar-Bars. Qu'est-ce qui vous a amené à les suivre ?
Thomas Dossus : Quand je suis arrivé au Sénat [NdlR : en 2020], j'ai tout de suite dit : on étudie le budget de la culture. On s'est aperçu que nous sommes sur une culture très institutionnelle, que la culture que moi je vis, que je pratique, n'est pas du tout reconnue par le ministère. J'ai trouvé ça décalé. J'ai commencé à creuser le sujet, à me rendre compte qu'il y avait à Lyon et ailleurs une envie de faire reconnaître la culture club, celle des musiques électroniques, je suis tombé évidemment sur la tribune publiée par Laurent Garnier. Je me suis saisi du sujet. Au fur et à mesure des confinements, on s'est rendu compte que ces établissements allaient être les premiers à fermer et les derniers à rouvrir. Il y avait donc un véritable enjeu pour tout un pan de la culture française, car il y a une effervescence sur ces musiques. J'ai décidé d'investir ce sujet-là au Sénat et de poser plusieurs interventions en commission et en séance. Avec un accueil assez froid de la ministre. Et puis, il s'est passé quelque chose en Allemagne aussi : le Parlement a reconnu d'abord le Berghain puis...
Il faut faire reconnaître cette valeur-là au Sénat
Dès 2016, le Berghain.
Voilà, et le Parlement a reconnu au printemps dernier les clubs qui ont une vocation culturelle. L'idée n'est pas de reconnaître toutes les discothèques comme établissements culturels, certaines sont purement dans des logiques économiques. Mais il y a des clubs qui ont une programmation, qui vont chercher une esthétique, qui font découvrir des artistes : il faut faire reconnaître cette valeur-là au Sénat.
Le premier pas en Allemagne, avant de reconnaître la club culture en mai de cette année, ça a été en 2020 quand la techno a été reconnue officiellement comme une musique à part entière.
C'est ça. Les grilles des différents ministères de la Culture sont forcément un peu similaires : il y a une culture légitime qui a voix au chapitre et une autre considérée comme marginale ou un peu trop alternative pour être une véritable esthétique culturelle. Après, c'est étonnant : on remet la médaille de Chevaliers des Arts et des Lettres à Laurent Garnier et d'autres, mais toute la culture autour d'eux n'est pas reconnue. Du tout. Même s'il faut reconnaître que c'est une culture née dans la clandestinité, parfois contre les autorités, voire dans un rapport de force avec l'État et le ministère de l'Intérieur : il y a donc de la défiance. Mais je trouve qu'on est encore très archaïques en France en ce qui concerne cette culture.
En 2020, malgré tout le chemin parcouru, Roselyne Bachelot déclarait encore au début de la crise du Covid que les musiques électroniques ne dépendaient pas de son ministère mais de celui de l'Intérieur...
Elle disait : allez voir Darmanin ou Griset. Soit chez les flics, soit à l'économie. Mais en aucun cas, ce ne devait être selon elle géré par le ministère de la Culture : et ça, c'est vraiment problématique. C'est un déni. Cette esthétique des musiques électroniques n'est pas acceptée au sein du ministère et c'est un vrai problème.
La nuit dans son ensemble est vue du côté nuisances. On ne parle jamais de l'aspect culturel.
Oui, bien sûr. Ni d'économie. C'est ce qui a bougé en Allemagne : ils ont créé dans les villes des postes d'adjoints délégués à la nuit. Des choses ont été faites politiquement pour investir ce temps-là de la vie des gens et se poser autour de la table pour à la fois régler les problèmes de nuisance et reconnaître ce rôle culturel que peuvent jouer ces clubs et établissements. On le voit aussi ici, ça a été dit par le représentant de l'Umih : ces établissements jouent un rôle d'apaisement de la ville. Quand les bars, les restaurants, les clubs sont ouverts, la nuit en est pacifiée.
On a mis ça sur le plan moral
Vous avez aussi dit pendant la crise sanitaire que si on n'encadrait pas la fête, elle allait redevenir sauvage.
Oui. Ce que j'ai dit au Sénat, c'est que si on ne reconnaissait pas ça, on allait vers la répression. Pour la rave de Lieuron (Ille-et-Vilaine) du 31 décembre 2020, ce que l'on a reproché à ces jeunes, c'est que pendant que tout le monde faisait gaffe durant les fêtes du Nouvel An, eux ont lâché la bride et organisé cette rave. On en a fait quelque chose de moral, de scandaleux parce que tout le reste de la France faisait attention. En réalité, si on avait été sérieux, on aurait vu ça comme un problème sanitaire — c'était vraiment ça l'enjeu, on n'aurait pas envoyé la troupe pour essayer de les arrêter, on aurait dû faire de la prévention et dire aux gens, on va vous suivre au niveau sanitaire, vous tester, vous allez vous isoler. On aurait pu avoir une autre approche que celle employée, même si celle-ci a finalement été modérée. Mais tout de suite on a mis ça sur le plan moral alors que c'était aussi une jeunesse qui avait besoin d'une soupape.
Revenons sur la club culture : que proposez-vous ?
L'idée est de reconnaître ces lieux comme étant culturels, pour qu'ils aient accès à une reconnaissance du ministère et qu'on arrête de leur mettre des fermetures administratives pour des histoires de nuisance alors que les SMAC ont des règles différentes. Il faut réguler et si c'est le ministère de la Culture qui le fait, ça permettrait d'avoir une approche différente sur l'image que peut avoir la nuit sur le grand public : ce n'est pas uniquement un moment de consommation pure, une période de lâchage, c'est aussi un moment où l'on s'enrichit culturellement, où l'on se croise. C'est reconnaître aussi toute la scène des musiques électroniques qui vit derrière ces établissements, la considérer comme un écosystème extrêmement dense et riche en France.
Quels sont les retours politiques, y compris au sein de votre parti, EELV, qui ne s'est pas exprimé sur ces sujets-là ?
Chez EELV on est sur les droits culturels, pas forcément effectivement sur les musiques électroniques — ce n'est pas quelque chose qui a été travaillé au sein du parti. Par contre, on avait un propos notamment au sujet des rave partys et des festivals, sur les zones de prévention en matière de prise de stupéfiants. Nuits sonores par exemple a mis longtemps à se mettre au diapason, à avoir des stands de prévention, où l'on peut faire tester ses produits, etc. Au sein du parti, on l'a beaucoup défendu. Et avec mes interventions régulières au Sénat, grâce au collectif Bar-Bars qui pousse de son côté malgré l'accueil froid, la ministre commence à intégrer l'existence de ces sujets autour des clubs. Politiquement ça a émergé récemment, à la suite des confinements qui l'ont révélé. Le confinement a aussi fait émerger un manque culturel chez certains d'entre nous, avec le fait de ne pas pouvoir aller en festival ou en club. Tout ça nous a fait prendre conscience que l'on peut avoir une approche politique sur ces sujets.
Un club mythique : l'Anfer
Le fait que Lyon soit l'un des épicentres de cette scène a joué ?
Bien sûr, chaque week-end on peut aller voir au moins trois ou quatre soirées électroniques différentes, menées par divers collectifs. On est une ville très riche là-dessus, avec une scène locale importante, forcément ça m'a marqué. C'était naturel pour moi de porter ce combat.
Vous avez même été DJ ici ?
DJ pour moi, c'était anecdotique : j'étais curieux de pouvoir m'exprimer de cette manière à un moment, mais je n'ai pas creusé. Cette culture électronique, je l'ai acquise dès mon adolescence à Dijon, où il y avait un club mythique : l'Anfer. Garnier y était résident. À Lyon j'ai vu tout ça exploser, je suis arrivé peu avant la création de Nuits sonores. J'ai pratiqué en tant que spectacteur, un peu en tant que DJ. C'est une scène intéressante aussi par son côté marginal. Elle est compliquée pour les radios grand public... C'est moins direct que la variété ou la pop, mais une fois qu'on est dedans... J'ai eu pendant quelques années une émission sur Radio Canut le dimanche où je passais des musiques électroniques et du rap des États-Unis. Moi, ça ne m'a jamais lâché. Je continue à en écouter et à découvrir.