Article publi-rédactionnel / La danseuse et chorégraphe Vania Vaneau présente, du 30 novembre au 4 décembre, sa création Nebula, solo pour aller au plus près de la nature. Elle nous explique comment elle extrait, avec son corps, un peu d’espoir dans ce monde atomisé.
Nebula de Vania Vaneau, 2021, Passages Transfestival, Metz © Raoul Gilibert-3147
Vous avez travaillé en trio pour Ora (Orée) (2019), en duo pour Ornement (2016), vous allez livrer un solo. Est-ce que cela a été décisif au moment de penser Nebula ? Comment c’est arrivé ?
L’expérience du trio est un partage duquel je sortais pour regarder et maitriser la forme de l’extérieur. Et pour Nebula, j’ai eu envie de revenir à un solo car c’est plus personnel. J’avais besoin de travailler dans un élan plus intuitif, une impulsion un peu plus consciente. C’est plus simple d’être seule pour cela.
C’est parce que vous avez l’intuition de travailler en solo que vous êtes allée vers ce sujet de la nature que vous dites « déjà détruite » ou c’est ce sujet qui vous conduit à la forme du solo ?
C’était les deux en même temps. Il y a un état d’urgence de quelque chose qui est fini, détruit et le devoir de répondre à ce sentiment apocalyptique avec un élan, une action, le jeu. Le solo est le plus approprié pour cela mais je travaille étroitement avec les compositeurs de Puce Moment, Nicolas Devos et Pénélope Michel. Assez vite, dans le processus, j’ai commencé à partager les idées avec la scénographe Célia Gondol. Finalement c’est une équipe avec aussi Abigail Fowler sur la lumière. C’était intéressant de voir comment chacun à son niveau est auteur de ce qu’il fait.
Votre instrument est le corps. Comment avez-vous fait pour travailler le sentiment apocalyptique que vous évoquez ?
Au départ je cherchais des gestes qui soient ceux du « faire », de fabrication des choses anciennes avec la terre, les éléments extérieurs. Revenir à la vannerie, la terre, l’argile - cela ne disparaît jamais – et voir comment l’humain interagit avec son environnement pour le transformer, pour créer de la vie (agriculture…). Dans l’avenir, cela persistera et on va peut-être créer d’autres types d’outils pour d’autres façons de travailler la terre et être en contact avec l’environnement d’une autre façon. Il faut aller vers un imaginaire : comment les matières pourraient se combiner (la pierre et le miroir, la lumière et les plantes…), les choses muter, voir les matériaux bruts qui pourraient dialoguer autrement entre eux. Voir aussi comment aussi le corps peut devenir un élément de la nature : devenir animal, plante, étoile, volcan. C’est un travail plus intérieur qui peut se rapprocher du butō*, de sensations physiques. Se dégage alors une figure un peu chimérique, qui se transforme le long de la pièce en possibilités de fictions et d’êtres magiques, un peu enchantés.
Nebula de Vania Vaneau, 2021, Passages Transfestival, Metz © Raoul Gilibert-3227
Avec la musique, vous cherchez à construire une cérémonie, une nécropole sur votre sujet ou plutôt un monde enchanté comme vous le dites ? Quelle est la tonalité de Nebula ?
On ne l’a jamais nommée « cérémonie » mais la pièce a un côté rituel. Souvent mes pièces portent un peu ce format-là. Pour la musique, on est parti sur des sons qui pouvaient ressembler à des sons un peu naturels et qui sont aussi tordus pour devenir électroniques. À la fin on ne sait pas si c’est un animal ou une machine, il y a cette confusion. C’est un contexte tellurique avec des éléments assez sombres mais aussi un travail sur la voix (Pénélope chante dans la bande son et moi un peu également) pour convoquer des chants d’appels, des ritournelles et activer des connexions de vie. Puis il y a une partie plus mélodique qui appelle à plus de couleurs.
Vous dites souhaiter faire un « spectacle de guérison ». Comment s’y prend-on ?
C’est un peu comme un rituel de mort ou de renaissance. Il y a une progression avec tous ces gestes plus concrets avec le charbon (préparer un terrain, manipuler avec des outils…) pour provoquer une transformation du corps, de l’espace et invoquer toutes ces forces un peu magiques pour redonner vie à cet espace. Et pouvoir entrer dans une danse de l’abandon, un peu cathartique, guérir un corps et un espace qui a été détruit.
Ce spectacle est une sorte de dernière danse. Est-ce pour accompagner la fin d’un monde plutôt que d’en imaginer un autre ?
Non pour moi la pièce n’est pas une fin. C’est une façon d’aller chercher de la lumière, de l’air, de l’espace plus loin. Reconstruire dans un autre niveau ce qui a été détruit pour trouver d’autres types de consciences, de lien, de relation.
Nebula de Vania Vaneau, 2021, Passages Transfestival, Metz © Raoul Gilibert-3208
Le titre Nebula c’est pour une façon de flotter au-dessus de ce monde détruit ? Comment est venu ce titre ?
C’est l’envie d’accéder à quelque chose de niveau cosmique, céleste. Les nébuleuses sont des sortes d’amas d’étoiles très colorées. Elles sont invisibles pour nous, ça ne se voit que par satellite. J’ai le désir de voir quelque chose d’invisible de plus loin plus large que la sphère humaine et terrestre. Et ça évoque les nuages, le nébuleux et le sombre. Travailler la couleur noire même si, à la fin de la pièce, la lumière arrive.
Vous avez dansé avec de grands chorégraphes (Wim Vandekeybus, Maguy Marin, Christian Rizzo…). Est-ce que ce que vous avez appris d’eux infuse dans votre travail aujourd’hui ?
Je n’ai fait qu’un projet avec Vandekeybus. Je ne peux pas dire que ce soit un langage qui me soit resté. Avec Maguy Marin, j’ai travaillé durant sept ans (Ha ! Ha !, Turba, May B, Umwelt, Description d’un combat, Salves…). C’est un grand apprentissage sur les méthodes de travail, la façon de concevoir le théâtre et l’art en général. Ça se transforme dans le temps. Mon chemin est différent maintenant. Et puis je travaille avec Christian Rizzo depuis cinq ans. Je danse sur sa création actuelle. C’est un imaginaire dont la forme est très différente de ce que je fais mais on a des points communs dans l’imaginaire des sensibilités qui peuvent se rapprocher. C’est bon aussi d’être interprète.
Vous travaillez beaucoup le toucher ; on sort d’une période où il a été interdit, dangereux. On a encore du mal à le retrouver. Est-ce que cela a traversé ce travail sur Nebula ?
J’ai commencé à travailler Nebula avant le début de la crise sanitaire. Mais ça a complètement résonné avec cette situation particulière. On était en plein dans la thématique de l’apocalypse, de la destruction, comment renouer avec quelque chose de l’ordre du vivant. Je pense qu’on est de plus en plus nombreux à se relier aux autres avec des machines (téléphones, ordinateurs…) et c’est essentiel de revenir, même si ce n’est pas à plein, à son entourage, dans les vraies sensations, les choses tangibles, de faire, fabriquer soi-même, de ne pas s’éloigner pour se réfugier derrière un écran.
Nebula de Vania Vaneau, 2021, Passages Transfestival, Metz © Raoul Gilibert-3245
Vous avez créé ce spectacle dehors. Est que sa version extérieure sera très différente de la version intérieure que vous allez expérimenter pour la première fois aux SUBS ?
Depuis le début je voulais que ce soit une pièce protéiforme (dehors, dans une église, une ancienne ferme…) et sortir du cadre typique de la résidence de la production des pièces, souvent en studio pour que le résultat ne soit pas la production d’un spectacle mais une expérience partagée. Je voulais partir de la présence d’un corps dans la nature.
Vous n’avez pas l’impression d’enfermer ou asphyxier votre spectacle dans sa version plateau ?
Non car, comme j’avais déjà fait des allers-retours, je n’ai pas travaillé qu’en intérieur ; les deux versions dialoguent. On a trouvé des choses sur le plateau, d’autres dehors. Ca se complémente. Chacune permet des choses que l’autre ne permet pas et en même temps ça reste la même pièce.
Qu’est-ce que le plateau permet ?
L’environnement au plateau est plus créé par le son et la lumière que par la nature donc ça permet de choisir alors qu’en extérieur c’est parfois l’accident (le vent, la pluie, beaucoup ou pas de végétation). L’intérieur appelle plus le côté futuriste que l’autre car il y a deux polarités dans ce projet : aller chercher dans une pratique plus ancestrale et sauvage et, aussi, créer des objets et des éléments de la pièce qui seraient plus futuristes. Sur le plateau, on est plus dans un imaginaire futuriste car c’est plus technologique et dans la nature, je ressens plus le côté ancestral.
* danse d'avant-garde née au Japon à la fin des années 1950
Nebula
Du mardi 30 novembre au samedi 4 décembre 2021 à 20h ; 16€/13€/5€
Puce Moment live
Samedi 4 décembre à 21h30 ; 10€/5€