Art contemporain / François Réau signe une exposition superbe. Il y met en scène de petits ou très grands dessins, emportant le visiteur dans un grand souffle dramatique de signes, de traits, de métamorphoses formelles, repoussant toujours le plus possible les limites de son médium.
Pour son exposition à la Fondation Bullukian, François Réau a imaginé une scénographie dont on perçoit, et apprécie, vite les ressorts dramatiques, la montée en puissance, les échos formels. Elle nous emporte dans l'univers plastique de l'artiste qui a, ici, pour point de départ et pour cœur battant un poème de René Char, Destination de nos lointains. Poème qui, entre autres sens, chante l'éternel retour de la vie même dans l'âpreté, l'intensité du vivant et l'horizon émancipateur du futur... « La liberté naît, la nuit, n'importe où, dans un trou de mur, sur le passage des vents glacés » commence le texte.
Des dessins à la mine de plomb et graphite de feuillages et de végétation nous accueillent à l'entrée de la Fondation, avant de découvrir un grand (presque quatre mètres de large) dessin en triptyque de nuages, To what extent. « Structure inconsistante en état permanent de formation et de déformation, le nuage est un symbole de ce qui échappe à la représentation et une incomparable image du mouvement. Comme image explicite de la transformation, de ce qui se "forme au-delà", ce qui en fait une métaphore essentielle de tout ce qui déborde notre capacité d'appréhension » écrit François Réau pour le dossier de presse.
Soit une sorte de paysage sans limite, sans forme fixe malgré la "fixation" du dessin, évoquant son propre dépassement. La possibilité d'y voir aussi une explosion, et l'aspect flouté du rendu, accentuent l'effet transitoire et ouvert de l'œuvre.
Nuit transfigurée
À côté des nuages, deux grands dessins se font face, Mesurer le temps I et II, l'un clair et l'autre sombre. Ils se composent d'une myriade de petits traits simples en lignes (en écho peut-être aux os gravés préhistoriques ? Ou encore au travail de Roman Opalka ?) qui forment comme une trame un peu floue. Mesurer le temps, inscrire le temps, c'est à la fois, chez Réau, représenter la trame même de ce qui nous constitue comme êtres vivants, et représenter ce qui se déchire, se disloque, s'efface au fur et à mesure du temps. Aspect clair de la vie, aspect sombre de la mort, qui se font face et ne peuvent guère être séparés l'un de l'autre.
D'ailleurs cette double polarité se poursuit dans deux autres salles, notamment dans celle où l'artiste a disposé, dans la pénombre, nombre de tournesols calcinés mais toujours debouts. Un petit néon éclairé est formé du mot "nuit". Une nuit blanche donc, une « nuit transfigurée » schönbergienne, « transfigurante ». Ambitieux, François Réau tente de réunir dans ses installations et ses dessins (ses dessins "installés") ce qui fait la vie et ce qui la dépasse dans la métamorphose. Il y a comme un souffle qui emporte ses images vers un au-delà d'elles-mêmes. Créer c'est, dans le même temps, détruire, montrer la déchirure et la fragilité.
Dans un autre espace de la Fondation Bullukian, l'artiste, en collaboration avec les Teintureries de La Turdine, déploie l'un de ses dessins en impressions textiles. La mise en scène est là encore très belle, avec des rouleaux (parfois suspendus) faisant se déployer l'écriture-dessin du temps, son devenir infini et abyssal. En ouvrant le dessin à la mise en scène, à l'installation, à l'impression textile, François Réau ouvre le regard à bien de vertigineuses émotions.
François Réau, Destination de nos lointains
À la Fondation Bullukian jusqu'au 30 décembre
Bio express
1978 : Naissance à Niort. Vit et travaille actuellement à Paris
1998 : École régionale d'arts de Poitiers
2001 : Diplôme de l'École d'arts appliqués de Poitiers
2010 : Première exposition personnelle au Centre d'art contemporain de La Ferté Bernard
2012 : Exposition à Lyon à la Galerie L'Oujopo
2022 : Plusieurs expositions en France, dont Destination de nos lointains à Lyon