Oubliez tout ce que vous croyez savoir de Marguerite Duras. L'incandescence des Amants, le scandale, la voix rocailleuse nimbée d'alcool et le col roulé. Ici, Duras écoute. Des gosses de la DDASS comme on disait alors, des ouvriers... Elle est lasse qu'on lui demande toujours ce qu'elle pense dans les repas de famille qui débordent sur la politique, fatiguée de choisir constamment, y compris au resto, pour savoir quoi manger. Alors elle s'oublie.
Le portrait en creux que fait la metteuse en scène et comédienne Isabelle Lafon est énamouré et c'est une qualité. Car il ne cherche pas à régler des comptes avec l'écrivaine mais à la regarder attentivement, précisément. Pour cela, il y a sur la table, où ses deux acolytes sont réunis, des retranscriptions d'interviews, des archives. C'est Duras qui pose les questions aux mineurs de Harnes, dans le Pas-de-Calais, en 1967, s'intéresse à eux, leur lit des poèmes, valorise le temps que leur métier leur prend et ainsi il n'est pas « question d'effort intellectuel », elle cherche les sensations et les mets à portée de tous : « qu'est-ce qui m'arrive en lisant un texte ? »
Avec une bibliothécaire, une stripteaseuse, une lycéenne mais aussi avec le journaliste Pierre Dumayet et dans l'appartement de la rue Saint-Benoît où se retrouvaient Dionys Mascolo, Claude Roy, Robert Antelme, Duras est une imprudente impatiente avec qui personne ni aucun sujet n'est supérieur à l'autre dans ce spectacle léger, un peu suranné et attachant qui, au TNP, est la deuxième étape d'une sorte de trilogie Duras, après La Douleur et avant L'Espèce humaine en janvier par Mathieu Coblentz.
Les Imprudents
Au TNP jusqu'au samedi 3 décembre