Cabaret / Coup de fil au patron du cabaret de Madame Arthur, mythique lieu travesti où se produisit Bambi, premier du genre ouvert à Pigalle en 1946, sorti des limbes en 2015 après cinq années d'extinction des feux par Fabrice Laffon, le patron du Divan du Monde voisin qui nous explique les dessous de cette résurrection avant un arrêt au Sucre. Allo ?
Madame Arthur, c'est l'histoire d'une résurrection : le cabaret avait fermé pendant cinq années avant d'être repris par vous. Quelle est l'histoire de ce retour ?
Fabrice Laffon : Nous, on s'occupait du Divan du Monde, une salle de concerts. On a fait l'acquisition du bâtiment voisin, fermé depuis très longtemps : on voulait s'agrandir. Et pendant que l'on faisait les travaux de réhabilitation de cet ancien cabaret, on a fait la rencontre d'un petit embryon d'artistes — ils étaient trois —, par hasard, qui nous ont proposé de relancer une formule de cabaret. C'est l'histoire d'une équipe qui a relancé un programme de cabaret, sans attache avec le passé, nous étions très libres...
Vous avez pu redémarrer d'une page blanche.
Exactement, on a eu une page blanche devant nous, tout en étant très respectueux, avec la volonté de faire le lien avec ce passé. Mais sans la lourdeur que l'on peut avoir quand on est dans une entreprise qui est ouverte, avec des changements difficiles à faire parfois. Vous voyez ?
On a démarré en tâtonnant, sur les horaires, sur les formats, sur le public. Par contre, là où on a été tout de suite en phase, où l'on a su tout de suite ce que l'on voulait faire, c'était de chanter en direct, en vrai, ce qui veut dire s'éloigner des codes du transformisme. C'était il y a sept ans, ça paraît loin maintenant même si ça ne l'est pas tant que ça. À l'époque, le transformisme était très associé à ces codes : quand une personne était déguisée en femme sur scène, c'était fatalement qu'elle allait faire semblant de chanter en play-back, comme chez Michou. On a voulu s'en affranchir, en chantant en direct, et finalement on revenait ainsi aux racines — car on sait très bien qu'en 1946, les travestis chantaient chez Madame Arthur. C'est Michou qui a été révolutionnaire en leur faisant faire du play-back, à l'époque ça avait détonné, c'était très original. Mais ça ne l'était plus quand nous sommes arrivés. On savait donc que l'on voulait faire ça et on savait aussi que l'on voulait chanter en français. C'étaient nos deux fondamentaux. Et avoir un accompagnement au piano.
Les artistes font ce qu'ils veulent
Ce qui est aussi une nouveauté à notre connaissance, ce sont les tournées comme celle qui vous amène à Lyon. Pourquoi cette volonté de sortir de votre cabaret, est-ce que ça existait avant ?
Oui, c'était notre volonté initiale. Il y en a eu avant, mais nous ne sommes pas calqués dessus... On s'en est rendu compte après avoir commencé : Madame Arthur travaillait déjà la tournée à l'époque. Ils le faisaient dans d'autres types de lieux, jusqu'en Amérique du Sud ! Je n'ai pas toute l'histoire, mais je pense qu'ils avaient à l'époque des réseaux de lieux typiques, de cabarets travestis, un petit peu sur toute la planète et il devait sans doute y avoir des parcours, peut-être plus faciles qu'aujourd'hui, avec des lieux identifiés à tel et tel endroit, donc ils allaient à la rencontre du public dans des cabarets du monde entier.
Nous, pourquoi on l'a fait ? C'était beaucoup d'investissement, cette affaire de cabaret. Beaucoup de répétitions, de cachets d'artistes. On a identifié assez vite qu'une manière de travailler ces investissements, c'était de sortir de chez nous. C'est pour ça qu'on a continué d'investir dans ce projet : on s'est toujours dit, un jour on ira jouer ailleurs, rencontrer d'autres publics.
Nous avons aussi une partie discothèque chez nous, elle peut moins se développer à l'extérieur, a contrario. On a eu envie de s'imaginer un avenir plus grand que celui qui nous était proposé ici. On a eu envie d'y croire et les premières rencontres avec le public ont été bonnes, ça nous a conforté dans cette idée. On a la chance de travailler avec une vingtaine d'artistes, on peut jouer en même temps à Paris et ailleurs.
Au Sucre où vous venez le vendredi 2 décembre, à quoi doit s'attendre le public lyonnais ?
Dans les grandes lignes, c'est ce que je vous ait décrit : ce sera accompagné au piano, il y aura quatre artistes, trois qui chantent et un qui chante et joue du piano. Le répertoire sera libre : on a certains spectacles autour de thèmes, comme ceux autour de Dalida et de Boris Vian, là ce ne sera pas le cas, donc chacun chantera dans une grande diversité son répertoire d'époque. Je ne pourrais pas vous en dire beaucoup plus car on a cette ligne chez nous : les artistes font ce qu'ils veulent. C'est ce qui fait la qualité de nos spectacles, je leur laisse décider de leur répertoire, de leurs envies qui peuvent changer du jour au lendemain. Je ne sais pas vraiment à quoi vous pouvez vous attendre ! Sinon qu'il y aura comme souvent chez nous du rire et des larmes.
Madame Arthur retourne Lyon
Au Sucre le vendredi 2 décembre à 19h30
Repères
1946 : ouverture du cabaret Madame Arthur à Pigalle, premier cabaret travesti de Paris ; Bambi et Coccinelle s'y produiront durant les années 1950 et 1960
2010 : fermeture du cabaret
2015 : reprise du lieu par l'équipe du Divan du Monde et Laurent Laffon
2019 : sortie au cinéma des Crevettes pailletées, film dans lequel joue Romain Brau, l'un des artistes du cabaret de Madame Arthur
2022 : le cabaret parisien fête ses 75 ans ; passage à Lyon d'une partie des artistes, au Sucre