Les performances de Lundy Grandpré annulées aux Subs après les allégations mensongères de Pierre Oliver

Les performances de Lundy Grandpré annulées aux Subs après les allégations mensongères de Pierre Oliver

La compagnie artistique Lundy Grandpré ne jouera pas ses performances aux Subs ce week-end. Pris dans des dénonciations calomnieuses sur les réseaux sociaux depuis la publication du tweet mensonger de Pierre Oliver, leader de la droite locale et maire du 2e arrondissement de Lyon, ils se mettent en retrait temporairement. Et malgré eux, incarnent un conflit politique entre gauche et droite sur le sujet de la culture en Auvergne-Rhône-Alpes.

« Depuis mardi 13 juin, on reçoit tous les jours des messages de violence sur l'Instagram et la boite email de la compagnie » raconte Lucile Genin (28 ans, designeuse d'espace, diplômée de l'ENSBA) « sans compter les commentaires postés sous l'article des médias qui ont diffusé l'info » poursuit son acolyte de la compagnie Lundy Grandpré, Akène Lenoir (24 ans, danseur, formé au CNSMD de Lyon). Ce mardi 13 juin au matin, Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement, écrit sur compte que « la ville de Lyon et son Maire Grégory Doucet sabrent 37 subventions culturelles pour financer des individus nus dans un jardin avec sextoys, devant des enfants. L'utilisation militante et extrémiste du budget n'a plus de limite. L'indécence non plus » accompagné d'une vidéo d'une minute devenue virale car relayée par la presse d'extrême-droite comme Valeurs actuelles.

Que voit-on ? Quatre plans montrant ce qui semble être un rassemblement artistique en plein air, quelques adultes en sous-vêtements, entourés d'autres et trois enfants, habillés, dans une action participative (secouer ses bras...). Un autre plan permet de voir un adulte nu, lové dans la terre et des plantations (et un sextoy posé sur une motte de terre qu'il faut parvenir à distinguer dans l'image) et des spectateurs et spectatrices adultes, habillés, qui le regardent. Pas d'enfant en vue et un 4e mur qui, dans les arts vivants depuis le XVIIIe siècle, distingue ce qui se passe sur une scène, fut-elle un champ, et dans une salle, fut-elle composée de transats, pour distinguer le réel de la fiction.

Cette vidéo postée sur Twitter est-elle contextualisée, sourcée ? Non. C'est plus simple comme ça. Pourtant, elle a été filmée en 2021, à la Factatory (lieu de résidence artistique transversal piloté par la galerie d'art contemporain lyonnaise du 7e, Roger Tator), dans un contexte privé et non dans le cadre d'un spectacle devant un public. Le duo présente une étape de travail à des personnes amies de la galerie. « Il y a trois enfants, ceux d'une personne qu'on connait » nous précisent les deux membres de la compagnie Lundy Grandpré, qu'ils ont créée en 2018 après leur rencontre l'année précédente lors d'un projet transversal ENSBA / CNSMD, l'école nationale des Beaux-Arts de Lyon et le conservatoire national supérieur de musique et de danse situé en face, de l'autre côté de la Saône.

Tweet de Pierre Oliver

Depuis le mois de mai, Lucile Genin et Akène Lenoir organisent chaque dimanche des visites du jardin niché sur les hauteurs du site des Subs où ils sont, avec trois autres "artistes pépite", un dispositif des Subs visant à accompagner de jeunes créateurs durant deux ans – ils sont au milieu de ce parcours qu'ils ont intégré en septembre 2021. De plus, ils proposent des performances dans ce petit espace à 16h pour les enfants, 18h pour les plus de 14 ans et 20h pour les adultes. À chaque fois, une vingtaine de places sont disponibles. La séance du 27 mai pour le jeune public s'est déroulée sans encombre (reconnaître les plantes aromatiques, endosser une perruque verte pour un mini spectacle...). Celles du 17 juin n'auront pas lieu. Celles des 8 juillet et 23 septembre sont maintenues.

Une (petite) subvention de la Ville de Lyon

Le financement par la Ville de Lyon évoqué dans le tweet sera mis au vote du conseil municipal du 29 juin – une somme de 1500€ que les membres LR en pré-commission culture ont validé. Ce sera la première subvention à leur égard en provenance de la Ville. Pour l'instant, celle de la DRAC est en cours d'étude sur le volet arts plastiques ; les services du ministère de la Culture déconcentrés en région les soutiennent déjà, de façon indirecte, via le dispositif Pépite. « Difficile de comprendre comment cette somme peut expliquer que 37 autres subventions soient annulées » s'étonne le duo qui se dit « instrumentalisé » par l'opposition. Il n'y a de toute évidence pas de lien. 

En revanche, ce qui apparait clairement est que le bras de fer entre la droite et la gauche se joue sur le terrain culturel aussi ces derniers mois. En avril dernier, Laurent Wauquiez supprimait 149 000€ - ce qu'il restait de subvention régionale – au TNG car son directeur, Joris Mathieu, avait publié une tribune sur le site du Syndeac faisant état d'une Région aux « dérives autocrates manifestes » par son « absence totale de concertations avec les organisations professionnelles ». Le monde de la culture s'en était ému dans une tribune le 4 mai sur le site du quotidien du soir Le Monde signée par huit anciens et anciennes ministres de la rue de Valois, de droite comme de gauche ; la vice-présidente chargée de la culture au Conseil départemental du Val-de-Marne, adjointe à la Culture à la mairie de Nogent-sur-Marne, Déborah Münzer, s'en était elle-même inquiétée sur France Culture le 23 mai : la coupe budgétaire opérée sur le TNG, « c'est absolument n'importe quoi et c'est totalement injustifiable » disait-elle alors.

Dans les pas de Laurent Wauquiez

Le match continue donc même au sein de LR et pas sûr que Pierre Oliver ait grand-chose à gagner à s'attaquer à la culture avec la même virulence que Laurent Wauquiez tant il n'investit pas le terrain rural comme le président de Région, qui y a gagné ses mandats. Le jeune élu s'ancre lui dans la ville de Lyon dont il est maire d'arrondissement et dont il ambitionne de diriger la mairie centrale. Et, depuis le 23 mai, il est secrétaire départemental du parti LR dans le Rhône, département très urbanisé, désigné par Eric Ciotti, à qui Grégory Doucet a demandé de se « désolidariser publiquement » selon un courrier rapporté par Le Figaro, qualifiant ses propos de « dérive trumpiste ». Pierre Oliver n'a pas répondu à notre sollicitation pour l'heure.

L'adjointe à la Culture de Lyon, Nathalie Perrin-Gilbert a réitéré ce vendredi, sur ses réseaux sociaux, son « soutien plein et entier à la compagnie Lundy Grandpré (...) Leur travail de recherche artistique a été repéré par plusieurs lieux et équipes en régions et en France, et la Ville de Lyon s'honore en accompagnant le parcours de ses jeunes diplômés d'art. La violente et obscène polémique engagée par Pierre Oliver, maire du 2e arrondissement, est grave et il devra en répondre ».

Du côté des Subs, le directeur Stéphane Malfettes se dit « déçu » que les artistes annulent leur performance ce week-end et affirme « qu'en tant qu'institution, il faut qu'on fasse reconnaitre leur souffrance, le fait est qu'ils sont victimes de quelque chose qui les empêche de travailler. On les réduit à être nus devant des enfants. On pense ce qu'on veut de leur démarche mais elle n'est pas aggressive. La démarche dans laquelle ils s'inscrivent, l'écoféminisme, irrigue beaucoup la jeune création depuis une vingtaine d'années. On donne une place à ceci comme à plein d'autres formes artistiques. On n'est pas militants ou dogmatiques. On est là pour ouvrir un terrain d'expression à la création qui s'invente aujourd'hui ».

Ecosexualité

Car au fond, de quoi parle-t-on ? De jeunes artistes qui cherchent, comme beaucoup d'autres, des formes d'expression. Il s'inscrivent dans « le mouvement de l'écoféminisme et l'écosexualité théorisée par les chercheuses et artistes Annie Sprinkle et Elizabeth Stephens qui proposent de ne plus voir la Terre comme une terre nourricière dont on extrait les ressources, mais comme une terre amante » explique Akène. « Ce qui nous motive est de penser et construire un imaginaire qui re-pose le rapport du vivant au végétal et qui propose une vision sensuelle et politique de notre rapport à l'environnement et aux autres humains et humaines qui nous entourent ». Intriguant, intéressant mais pas de quoi perturber à ce point. Eux-mêmes disent n'avoir « pas de mal à rire de leur sujet », « travailler dans la sensibilité et la joie » ; « c'est tellement décevant de voir que ce n'est même pas ça qui a été attaqué mais une histoire de subventions liée à des logiques politiques partisanes » poursuivent-ils.

Tous deux se laissent la possibilité de donner des suites judiciaires pour diffamation et harcèlement.

Prochainement, le duo présente au Carreau du Temple de Paris, dans le cadre du festival Jogging, une nouvelle création, Al fait nuit dans le gymnase, qui traite des rapports de genre dans le sport et pas d'écosexualité. La première aurait dû avoir lieu à Sens vendredi prochain, le 23 juin, – le maire LR maintenait son invitation malgré la polémique actuelle mais, bien que le comportement de l'édile ait été « très chouette » à leur égard, Akène Lenoir et Lucile Genin ont préféré annuler de crainte de ne pas pouvoir jouer dans des conditions sereines.

 

 

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