Les mots dans les choses : Laurence Cathala et Sofia Lautrec à la BF15

Art contemporain / Deux artistes investissent, à la BF15, le langage et l'écriture comme champ de création.

Faut-il être nostalgique pour apprécier ces artistes qui jouent avec les qualités plastiques de l’écriture : gribouillis sur toiles de Cy Twombly, écriture qui se délite et s’enchevêtre dans les dessins de Herald Stoffers, superbes suggestions graphiques du geste même d’écrire chez Dan Miller, saturations de signes par Irma Blank… ? Nostalgique de cette période de l’enfance où les lettres, encore timides et mal assurées, tremblotaient entre dessin et écriture, où le sens était encore pris dans la matière de l’encre ou du crayon bic. Écriture à la fois potache et libre, avant d’être normalisée et socialisée.

L’exposition Tourner sa langue s’inscrit dans cette ligne d’écritures plastiques, d’écritures dessinées, avec deux artistes invitées, Laurence Cathala (née en 1981 et vivant à Lyon) et Sofia Lautrec (née en 1997 à Montpellier et vivant à Paris).

Souffler un poème

Plus que la qualité même de leurs œuvres, l’exposition est réussie par la circulation entre elles, leur enchevêtrement, leurs échos évidents ou discrets. C’est par exemple ce texte À pleins poumons prendre l’air de Sofia Lautrec, écrit et imprimé sur les vitres de la BF15, qui vient, avec le soleil, se répandre sur le sol et les cimaises du centre d’art. Devenir onde et ombre d’un texte qui répond au devenir souffle et verre du « Poème » en verres soufflés de l’artiste. Sofia Lautrec a écrit un poème puis a demandé à un maître verrier d’en réciter et souffler chaque strophe à travers du verre en fusion. La parole se transforme ici en bulles de verre, matérialisant son invisibilité mais n’en révélant nullement le sens. Tout autant que le texte, ce sont les transformations de la matière qui intéressent Sofia Lautrec, notamment sous l’action de la chaleur : le plomb, l’étain, la céramique, le verre… Après la rencontre d’un jeune volcan en Islande (filmé à la va-vite avec un téléphone, et projeté à la BF15), l’artiste écrit textes et poèmes développant une mythologie imaginaire du volcan.

à lire aussi : « Les enfants comprennent plus vite que nous l’art contemporain »

Entrer dans le texte

Toujours désireuse de rapprocher art et littérature, Laurence Cathala présente trois de ses œuvres, dont l’une conçue spécialement pour l’espace de l’exposition : sur des fonds peints, elle pose une écriture indistincte et lapidaire au graphite, comme feuilles de carnets de notes agrandies. Ailleurs, s’inspirant des "paperolles" de Proust, elle associe plusieurs pages où l’écriture se décline en écriture manuelle ou "machinique". 

Dans la dernière salle de la BF15, c’est un grand texte de science-fiction imprimé qui est commenté, annoté en bleu, œuvre intitulée La Neuvième Version… « Après de premières recherches entre littérature et art, je rentre de plus en plus dans la matérialité même de l’écriture et dans son travail, avec les idées de palimpseste [parchemin dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte ndlr], de réécriture, de corrections, nous confie Laurence Cathala. Le but même de La Neuvième version est de faire lire le visiteur à l’échelle de son corps, d’accentuer l’aspect physique et collectif de la lecture, en opposition avec la lecture privée et intimiste. »

à lire aussi : Le regard halluciné de Tristan Chinal-Dargent à la BF15

Tourner sa langue, Laurence Cathala et Sofia Lautrec
Jusqu’au 2 novembre à la BF15 (Lyon 1ᵉʳ) ; entrée libre

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 19 novembre 2019 Les éditions lyonnaises Trente-trois morceaux viennent de publier une œuvre théâtrale peu connue de l'écrivaine américaine expérimentale Gertrude (...)
Jeudi 18 avril 2013 A l’occasion de deux expositions (Laurence Cathala à la Fondation Bullukian et "Le Dessin en couleurs" à la galerie Descours), nous avons voulu nous pencher sur le dessin. Le sujet est très à la mode, voire tarte à la crème. Aussi, pour lui redonner...
Jeudi 18 avril 2013 A la Fondation Bullukian, Laurence Cathala se joue du faux et du vrai à travers des livres mis en espace, des textes réinventés, une correspondance possiblement fictive et de nombreux dessins. Dessin au cœur de son travail dont elle nous démêle ici...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X