Après "Les Marchands" en novembre, le TNP accueille "Je tremble, 1 et 2", autres pièces immanquables de l'auteur et metteur en scène Joël Pommerat. Nadja Pobel
Joël Pommerat est un grand auteur de spectacles. Certes ce n'est pas nouveau (son premier grand succès date de 2004 avec "Au monde", ses premières créations remontent à 1990), mais cela ne cesse de se confirmer. En janvier, il proposait "Cercles/fictions", son dernier spectacle dans les murs décrépis du théâtre parisien des Bouffes du Nord où il est en résidence pour encore quelques mois. Cette pièce sombre et grinçante était une succession de fragments des maux du monde (la solitude, le pouvoir de l'argent, la déréliction de l'homme) affublée d'une bonne dose de fantasmagorie (l'apparition burlesque d'un cheval entre autres). C'est avec «Je tremble», en 2007, que Pommerat avait amorcé cette déconstruction du récit et projeté sur scène un Monsieur loyal que l'on retrouve dans chacun de ses spectacles. Micro en main, ce speaker accompagne le déroulé du spectacle et se moque d'un éventuel suspens qu'il annihile en annonçant sa mort au terme de la pièce. Ce qu'il y a à entendre compte autant que qu'il y a à voir. Avec «Je tremble», Pommerat s'affranchit de la narration classique et se débarrasse du décor. En fond de scène, seul un rideau rouge à paillettes habille l'espace. Ce pourrait être un cabaret, cela ressemble plus exactement au Club Silencio de «Mulholland drive». Pommerat invente un lieu où le rêve et le réel ne cessent de se heurter.
Illusionniste
Les bribes d'histoires racontées sont souvent tragiques : une fille explique comment sa mère s'est sacrifiée dans son métier d'ouvrière, jusqu'à perdre ses doigts dans les machines coupantes, un homme pense son amoureuse plus âgée qu'elle ne l'est pour ne pas renvoyer l'image de celui qui ne peut aimer qu'une chair fraîche et désirable... Sous couvert de théâtralité, Joël Pommerat livre un discours politique cinglant qui se réaffirme à chaque spectacle. Écrivant au plateau avec sa fidèle troupe de comédiens, il décortique sans concession le monde sans jamais le juger. Dans sa forme, le travail de Joël Pommerat est magique, au sens premier du terme : aucun technicien à vue ne vient gripper la machine à rêves et à cauchemars qu'il façonne avec son prestidigitateur, scénographe et créateur lumière, Éric Soyer. Le plateau est sombre, les personnages font des apparitions entre deux fondus au noir cinématographiques. La lumière se fait plus franche lorsque des chansons disco ou yéyé résonnent pour apporter de l'oxygène aux personnages. Enchanteur, Pommerat fabrique un théâtre de l'illusion qui ne verse jamais dans le grand guignol.
Je Tremble (1 et 2)
Au TNP-Studio 24, du mardi 4 au vendredi 7 mai.