Retour sur scène et sur disque du groupe grenoblois Rien, dont la musique est toujours aussi atypique et fascinante, entre ambiances cinématographiques façon écran noir et réflexion philosophique sur le néant.Christophe Chabert
"Et rien, je ne vois rien, et je ne ris plus car à force de rire, je transparais". Ce mystérieux aphorisme de Georges Bataille ne s'applique au groupe Rien que par association d'idées. Or, justement, la musique de Rien fonctionne comme ça : un grand aspirateur sonore à contre-culture, références obscures, figures majeures détournées de leur contexte, invitations à d'illustres inconnus traités comme de grandes vedettes... Rock vintage ? Néo-progressif ? Post-rock ? Pop futuriste ? Rien de tout ça, et tout ça un petit peu... Les étiquettes se heurtent au patronyme trou noir du groupe, et il est impossible de décrire leurs morceaux sans en passer par des métaphores alambiquées et pas forcément éclairantes.
Trou Noir
De leur premier essai transformé, l'incroyable Requiem pour des baroqueux, on avait retenu cette voltige permanente entre abstraction et narration, cette rencontre inattendue entre Godspeed you black emperor et le Général De Gaulle, ce plaisir à créer des compositions attaquant à la scie circulaire la notion de linéarité. Étrangement, c'est par une toute autre porte que l'on est entré dans leur nouvel opus baptisé Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir (planchez sur le sujet, vous avez 4 heures !) : un pur tube pop, ironiquement intitulé B.A.S.I.C., avec en invité vocal Damian Locks du groupe de Chicago The Eternals. Mais en écoutant en boucle cette bombe démente, on pensait plutôt à Damon Albarn, celui des premiers temps, juvéniles et bondissants, de Blur. Cette santé étonnante se retrouve tout au long du disque, bien qu'elle prenne d'autres formes, moins carrées des épaules : il n'est pas rare de passer dans un même morceau de rythmes presque tropicaux à des intermèdes free jazz tumultueux, d'un mur de guitares punk à un tempo reggae. À cela s'ajoute un passage chanté de la voix blanche de Jull, un interlude folk lo-fi, un générique parlé... Pour faire vivre un tel cocktail, il faut soit avoir la grosse tête, soit ne pas se prendre au sérieux. L'exploit de Rien est justement d'être les deux en même temps : leur musique est constamment conceptuelle, comme en témoignent les pochettes des disques (un cube hier, une pyramide aujourd'hui, à faire soi-même) et les textes qui accompagnent les morceaux, recueils de faits scientifico-historico-cinéphilo-esotériques. Mais le soin acharné avec lequel l'ensemble tient debout est d'autant plus impressionnant que ce bricolage ne débouche sur... rien, sinon une grosse blague un peu potache mais à laquelle on prend plaisir à croire. Boîte à outils musicale avec laquelle on ne peut rien construire de droit, bande-son d'un film à écran noir, méditation sur le néant comme art de remplir le vide : Rien, en définitive, est un grand Tout.
Rien
Au Sonic, mercredi 31 octobre
"Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir" (www.amicale-underground.org)