Mardi 29 mai 2018 Le prolifique Jean-Pierre Améris revient avec une comédie sentimentale qui parlera aux lombaires sensibles et aux reins délicats : la douleur dorsale en est en effet la colonne vertébrale…
Jean-Pierre Améris : « je fais des films qui s'imposent à moi, je ne calcule rien »
Par Vincent Raymond
Publié Vendredi 13 mai 2022
Les folies fermières
De Jean-Pierre Améris (Fr, 1h49) Avec Alban Ivanov, Sabrina Ouazani, Michèle Bernier
Les Folies fermières / D'une histoire vraie, Jean-Pierre Améris a tiré le sujet de son nouvel opus, une comédie sociale et chorale sur fond de problématiques rurales contemporaines. Tourné dans les verdoyants paysages du Cantal, ce film apparaît à bien des égards comme un contrepoint à son précédent, Profession du père. Au retour du Salon de l'Agriculture, le cinéaste lyonnais l'avait présenté aux Rencontres du Sud d'Avignon. Entretien.
Comment avez-vous découvert cette histoire de cabaret à la ferme qui a inspiré votre film ?
Jean-Pierre Améris : C'était en janvier 2018, j'étais au montage d'Illettré — un téléfilm avec (déjà) Sabrina Ouazani à Marseille. Je regardais les actualités régionales à la télé et j'ai vu un reportage sur David Caumette, un jeune paysan du Tarn de 35 ans qui, en 2015, pour sauver sa ferme de la faillite, avait eu l'idée d'y monter un cabaret. Et il y avait des extrait du spectacle. Allez savoir pourquoi, j'ai eu un coup de cœur pour son histoire.
Le lendemain, j'ai appelé la productrice Sophie Révil (qui avait produit Marie Heurtin) et trois semaines plus tard on était chez lui. On est resté deux jours, on a vu le spectacle et surtout, il nous a accueillis dans sa famille, on a parlé avec ses parents... Il a eu bien du mérite, parce que personne n'y croyait : ses parents espéraient même qu'il lâcherait la ferme. Et s'ils sont content qu'il s'en soit sorti aujourd'hui, ils ne vont pas au spectacle. Comme dit Guy Marchand dans le film : « nous, on est des paysans. Les filles avec des plumes partout, c'est pas notre monde ». On s'est donc lancé dans l'écriture d'abord avec Jean-Luc Gaget avant d'être rejoints par Marion Michau et Murielle Magellan, deux scénaristes femmes qui nous ont aidés à mettre plus de fantaisie.
Dans cette fantaisie, il y a le spectacle qu'il vous a fallu recomposer, en réalisant une distribution idoine...
Vous imaginez bien que c'était mon plaisir d'avoir à la fois un monde réel à filmer — celui des agriculteurs — et puis de faire un film sur le spectacle. Je n'en avais pas tellement fait, à part dans L'Homme qui rit. C'était l'occasion de faire se rencontrer ces deux mondes et de surmonter les a priori des paysans sur les artistes et ceux des artistes sur les paysans. Le spectacle de David Caumette est un cabaret plus traditionnel — avec du french cancan, magicien etc. — que dans le film.
Ce film arrive après Profession du père et semble en être une sorte de miroir opposé : Profession du père est urbain, enfermé, avec des aspects oniriques sérieux ; ici, c'est la campagne, la liberté, la fantaisie... Y avait-il l'envie ou un besoin de contrepoint ?
Les films se croisent : Les Folies fermières a commencé en 2018, alors que je n'avais commencé Profession du père — donc ce n'est pas si conscient que cela. Même si je savais que Profession du père serait quelque part un adieu à l'enfance, et quelque chose de dit sur la violence paternelle — mais voilà, c'est fait, je ne le referai pas. Je fais des films qui s'imposent à moi, je ne calcule rien. Cette histoire m'a plu, je suis très content d'avoir quelque chose de positif à transmettre aux gens : l'histoire de David Caumette, c'est comment répondre au désespoir qui prend beaucoup les paysans aujourd'hui — la société est dure, ce n'est pas moi qui l'invente — et répondre au désespoir par la fantaisie ou le spectacle. C'est original.
Quel travail avez-vous demandé à Quentin Sirjacq pour la bande-originale, qui a une tonalité rurale et “spectacle“ ?
Et américaine ! C'était un peu mon rêve ; et là je me la suis pété un peu “Robert Redford“, en faisant L'Homme qui murmurait à l'oreille des chevaux (rires). Dès le scénario, je voulais tourner dans le Cantal : je n'ai rien contre le Tarn, mais ce ne sont pas mes paysages. Je reste attaché à ceux de mon enfance : les grands plateaux déserts. Je voulais tourner là et ça m'amusait d'avoir une musique qui ne soit pas une musique de comédie un peu franchouille mais qui ait ce côté un peu à l'américaine, country. Ça pouvait être l'imaginaire du personnage, qui se promène en pick-up.
D'ailleurs, vous ne pouvez pas savoir ce qu'on a eu froid sur ce tournage ! À 1000m d'altitude en avril-mai 2021, toutes les scènes d'extérieur, les actrices sont en petite robe mais moi j'étais en doudoune. Pour moi, ce film est un éloge du collectif. Comme le dit souvent David Caumette, « on ne fait rien tout seul », c'est aussi un éloge de la fantaisie contre le désespoir — autant faire quelque chose, la vie étant dure.
Et, de plus en plus en vieillissant, je me rends compte que ma joie, elle est davantage dans le “faire“ que dans l'objet final qu'est le film. Je suis content si on aime bien, mais le bonheur c'est la fabrication.
Outre Sabrina Ouazani pour qui vous avez écrit le rôle de la danseuse Bonnie, comment avez vous choisi vos comédiens ?
L'idée était de faire un casting hétéroclite. Il y a un humoriste, Alban Ivanov, qui est venu assez vite. Je l'avais adoré dans Le sens de la fête, dans Patients, dans La Vie scolaire. Je pense vraiment qu'il a un petit côté Jacques Villeret, et beaucoup d'humanité, comme souvent chez les comiques. C'était vraiment très présent en moi que ce soit lui.
Michèle Bernier, c'est une actrice qu'on dit « actrice de télévision » et je trouve ça scandaleux parce que c'est l'une de nos actrices les plus populaires. Rendez-vous compte : pas une proposition de cinéma depuis vingt ans ! Parce que dans le cinéma qui est un milieu si snob, les gens disent « c'est La Stagiaire, c'est France 3, ce sont les actrices de télévision » ; et moi je déteste le snobisme.
D'ailleurs, le casting, c'est le sujet du film : c'est quand même sur un mélange qui fonctionne. Des gens d'origine différente, comme Ariana Rivoire, qui jouait Marie Heurtin et que j'avais envie de retrouver de longue date, qui fait la magicienne sourde ; ou Moussa Maaskri qui, comme il me l'avait dit « meurt d'habitude dans les films à la troisième bobine dans des conditions horribles après avoir tué une trentaine de personnes »... C'était vraiment l'idée de mettre ensemble des gens différents et de voir comment les liens allaient se tisser, pas forcément de façon attendue. On peut se dire que le personnage d'Alban Ivanov va avoir une histoire d'amour avec celui de Sabrina Ouazani ; et finalement c'est autre chose entre eux. J'aime bien quand un homme et une femme vont se donner confiance l'un dans l'autre et apprendre le respect.
Mais vous ne pouvez pas savoir ! Il faut parfois se battre. Même pour Alban Ivanov, je me suis battu auprès de France 3 par exemple : on me disait « mais il a pas de charme ; pourquoi vous ne prenez pas Pio Marmaï ? » Je n'ai rien contre Pio Marmaï, mais la formidable scénariste Marion Michau me disait — je la cite : « mais on n'y croit pas : moi je couche tout de suite avec lui ! » (rires)
J'essaie de mettre au centre de l'écran des gens ayant des physiques comme dans la vie, différents. C'est vraiment important et ça n'est pas si fréquent. Pio Marmaï et Sabrina Ouazani, c'est presque une autre histoire. Alban Ivanov, il est attendrissant, il est tout qu'on veut, mais c'est autre chose. Il faut batailler pour avoir Alban Ivanov, c'est le comble et on ne se rend pas compte.
Il semble qu'il y ait une figure imposée dans les films parlant de la campagne ou de condition paysanne c'est le vêlage...
C'est vrai (rires). Dans Petit paysan, c'était magnifique. C'est vrai que c'est un passage obligé, je me faisais une fixette : j'avais fait une vraie naissance dans Poids léger ; là on a bien travaillé. On y a passé des nuits parce qu'on a tourné chez un couple de paysans vraiment formidables. Ils nous ont acceptés chez eux six semaines, ce n'est pas rien. Ils habitaient au village de Trizac. Il nous ont vraiment beaucoup appris.
Par exemple, dans le scénario, nos personnages faisaient des yaourts ; mais ils nous ont dit : « ah non, on ne fait pas des yaourts chez nous Monsieur. On fait du Cantal, ici ! » (rires) Pour en revenir au vêlage, il y avait trois vaches sensées mettre bas pendant notre tournage et à chaque fois, on nous disait « c'est pour cette nuit, c'est sûr ! » Donc avec la chef-opératrice, l'excellente Virginie Saint-Martin qui déjà avait fait Marie Heurtin et Une famille à louer avec moi, on attendait et ça venait pas — et c'est long, hein. Pour finir, je dois à la vérité que le vêlage qu'elle a magnifiquement filmé, je n'y étais même pas. Merveille du montage, on y croit assez quand même. Mais c'est comme dans les westerns — je plaisantais à moitié quand je disais que je me la pétais Robert Redford —, vous pouvez filmer la communauté un peu fordienne des gens : la fille de mauvaise vie (Bonnie, on sent qu'elle a bien du flirter avec la prostitution et bien morfler) ; le paysan, etc. Il y avait quelques petites réminiscences de mon goût pour le western.
Compte-tenu de ce qu'il raconte, ce film pourrait-il connaître le même destin que Les Émotifs anonymes en étant adapté en comédie musicale ?
Pourquoi pas ? Les Émotifs anonymes, en effet, est devenu une comédie musicale vraiment formidable à Londres, à la façon anglo-saxonne de faire des comédies musicales, et une pièce de théâtre en Belgique. Moi ça m'était tombé dessus. Ce qui m'angoisse, si le film connaît un gros succès, c'est de devoir faire Les Folies fermières 2 (rires).
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