Alfred Hitchcock, une vie d'ombres et de lumière, l'ouvrage massif (plus de mille pages) de Patrick McGilligan traduit en français et co-édité par Actes Sud et l'Institut Lumière, n'est pas la première biographie consacrée à Hitchcock. Mais, à n'en pas douter, elle est la plus complète. La somme monumentale de documents, entretiens, anecdotes et notes internes qu'utilise l'auteur a de quoi laisser pantois, ses analyses sur les participants à chaque film aussi, tout comme son habileté à passer sans arrêt de la vie à l'œuvre, des films à leurs conditions parfois acrobatiques de production. Allant jusqu'à croiser des sources parfois contradictoires (et souvent sciemment rendues confuses par les déclarations d'Hitchcock, qui réécrivait sa propre légende au gré des interviews) pour essayer d'en tirer des certitudes, McGilligan lève quelques lièvres jusqu'ici tenus secrets (l'impuissance du cinéaste et ses conséquences : la révélation la plus spectaculaire du livre). Mais là n'est pas l'essentiel, même si cela contribue au plaisir de la lecture ; McGilligan tord le cou à de nombreuses idées reçues sur la manière dont Hitchcock travaillait, notamment dans la phase de préparation de ses films. On découvre un cinéaste qui supervisait de manière extrêmement précise ses projets dès leur écriture, engageant une foule de scénaristes pour travailler sur un aspect du scénario, un personnage... De même, McGilligan cherche à nuancer les rapports, souvent décrits comme houleux, entre le cinéaste et ses acteurs, qu'il ne traitait pas «comme du bétail» (la formule est d'Hitchcock lui-même), mais bien selon un sens aiguisé de leur psychologie pour obtenir le meilleur d'eux-mêmes sur un plateau. On voit aussi apparaître un Hitchcock beaucoup plus engagé qu'on ne le croyait, notamment lorsqu'il prend la tête des exilés anglais à Hollywood pour participer à un lobbying subtil poussant l'Amérique à s'engager dans la guerre en abrogeant sa «loi de neutralité». Enfin, c'est un Hitchcock combatif, manipulateur, rusé et tacticien, bravant les desiderata des plus grands patrons de studio et les ciseaux de la censure pour imposer ses vues et son art, qui devient le héros d'un livre époustouflant, un indispensable pour qui s'intéresse à cet âge d'or d'Hollywood et à ses méthodes.
Christophe Chabert
«Alfred Hitchcock, une vie d'ombres et de lumière», Patrick McGilligan
Actes Sud / Institut Lumière