Sept lieux, six sessions de 9h de live, trois concerts spéciaux. Il fallait bien ça pour fêter les dix ans de Nuits sonores, fleuron européen de la musique électronique (et plus si affinités). Compte-rendu du jour 1.Benjamin Mialot
D'ordinaire, au réveil, les deux premiers mots qui se forment dans notre tête sont «pipi» et «Nutella». Ce matin, lendemain de Nuits sonores oblige, ils ont laissé la place à «wow» et «putain». Comme dans «wow putain ce bourdonnement, j'ai l'impression d'avoir servi de diapason à une chorale de géants». Considérant la façon dont un Dj s'adapte aux convulsions de son audience et le nombre de pointures des platines composant l'affiche de cette dixième édition du festival, la comparaison n'est pas anodine.
Putain d'usine ?
Et elle n'est, contrairement à ce que l'on craignait, pas corrélée à la sonorisation des lieux. Oh bien sûr, les anciennes usines Brossette, bien qu'en bonne place pour décrocher le titre d'espace le plus impressionnant jamais investi par Nuits sonores, ne se prêtent pas tellement, réverbération métallique oblige, à des prestations un tant soit peu orchestrales. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que la quasi-totalité de la programmation rock est judicieusement cantonnée à l'Hôtel-Dieu.
Mais franchement, à quelques aigus stridents à s'en tartiner les dents d'Émail Diamant prêt, rien à redire. Quand bien même, ce serait un modeste prix à payer pour entrevoir l'excitant sentiment de transgression qui animait nos ancêtres ravers et pour avoir le plaisir de ne percuter que deux personnes tous les cent mètres, l'endroit étant, au contraire du Marché Gare, d'une impressionnante et salutaire immensité. De toutes façons, vous en conviendrez, on ne se rend pas à un tel raout musical dans l'idée de se faire caresser dans le sens des micropoils auriculaires, mais dans celle de transpirer toute son urée et de rencontrer plein de gens foufous.
Garçons perdus, cheveux gras
Sur le deuxième point, ce sera vite fait : ce que le Lyonnais a de plus fantaisiste à proposer, ce sont des perruques colorées et des bolas lumineuses. Seule exception : un marathonien d'âge mur qui aura fait son petit effet sur les élus et professionnels venus s'échanger politesses et jetons à bière à l'inauguration. Sur le premier en revanche, permettez-nous de vous dire que l'infection urinaire ne passera pas par nous. Ah ça pour danser, nous avons dansé. Comme des cosmonautes foulant le noyau de Jupiter, le temps d'une relecture à forte gravité des chapitres II et 12 du visionnaire Oxygène de Jean-Michel Jarre, courtoisie de l'encapuchonné Danger. Comme des figurants du clip de Thriller lorsque, attifée comme la terrifiante Sadako (cf. le film Ring, classique de l'épouvante nippone signé Hideo Nakata), la Suissesse Kate Wax a fait entendre sa techno-pop spectrale. Comme des rednecks torchés à l'huile de moteur, le long d'un set admirablement frontal et saturé de Bass Drum of Death, duo d'enfants terribles du grunge et du blues hailing from Oxford, Mississippi. Et enfin, comme des adeptes de la musculation du plancher pelvien, le temps de l'une de ces prestations flamboyantes et charnelles dont les New-Yorkais de !!! ont le secret.
Tout ça avant un triple coup de grâce asséné par James Murphy (qui n'a rien perdu en classe et en concentration depuis l'envoi à la casse de son LCD Soundsystem), James Holden (avec un mix tout en textures, sans doute le plus beau de la soirée) et un Étienne Jaumet plus rétro-futuriste que jamais (à ce titre, son look de pédophile flamand n'a pas dû laisser indifférent la sécurité). Bref, ça démarre fort, mais ce n'est, justement, que le début : aujourd'hui, c'est au tour de l'écurie Kompakt et de l'avant-garde de la bass music britannique de nous péter les rotules. Mais d'abord, un litre de cocktail ACE. Et un petit shot de guarana.