En prenant au pied de la lettre l'ouvrage de Lénine "Was tun ?" ("Que faire ?"), l'écrivain Jean-Charles Massera et son acolyte et co-auteur, le metteur en scène Benoît Lambert, livrent un spectacle tonique auscultant dans un même élan le poids de l'histoire et l'amour d'un couple de sexagénaires. Nadja Pobel
Alors qu'il répare en silence son vieux réveil et qu'elle range placidement ses courses, ils décident subitement de faire le tri dans leur bibliothèque. À peine commencé, le spectacle, extrêmement concret avec son décor brut et rassurant, se décale scénographiquement - du coin à jardin où est aménagée la cuisine, le plateau s'ouvre sur sa longueur et est investi par une charrette de vieux ouvrages bientôt répartis partout au sol - et via la gestuelle des personnages - des mouvements quotidiens, on passe à des amorces de pas de danse maladroits et touchants. Ce pas de côté est un palier pour entrer dans le vif du sujet : jeter ou garder des livres, les balancer aux orties ou sanctifier des périodes historiques ? Les ouvrages sur la Révolution Française ? Il faut bien sûr les conserver car ils relatent la fin des privilèges. A moins qu'il ne faille s'en débarasser, car ils disent aussi la création de La Marseillaise et la Terreur. Et que faire du Capital ? Le réserver car il a influencé positivement des milliers d'hommes ou le mépriser car la révolution russe qu'il a inspiré fut meurtrière ?
Rouge tendre
Que faire ? Jean-Charles Massera et Benoît Lambert ont choisi de faire une pièce de théâtre. Ils y insufflent des énergies musicales (celle de Get Well Soon notamment), truffent leur texte de chansons (Ferré, Anne Sylvestre...) et de citations sans jamais donner le sentiment de construire un patchwork bancal ou de chercher à masquer d'hypothétiques défaillances. Ils interrogent notre société, celle de l'après-68 et imputent la crise à cette incapacité qu'ont eu les gouvernants à assimiler ce mouvement dont tous les possibles ont été retoqués. Les excellents comédiens Martine Schambacher et François Chattot sautent d'un personnage à l'autre (ah le Zitrone plus vrai que nature !), brisent le quatrième mur pour un aparté emprunté aux jubilatoires films de Godard époque 60's, sans oublier d'être des héros ordinaires, amoureux et tendres. Ils voulaient détruire toutes les anciennes opinions, selon les mots de Descartes brandis en étendard, ils s'éteignent sur la superbe injonction de Mouloudji, Faut vivre, comme si tous les grands discours et les meilleurs slogans se diluaient soudainement dans le moment présent, plus fort que toutes les révolutions.
Que faire ?
au Théâtre de la Croix-Rousse jusqu'au samedi 26 janvier