Rencontre avec un des comédiens d'Une saison au Congo, Aristide Tarnagda, burkinabé et membre du Collectif Béneeré, qui interprète tour à tour un geôlier, un soldat, un fou et M'Siri.Nadja Pobel
Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure ?
Aristide Tarnagda : C'est par l'entremise d'un metteur en scène installé à Grenoble, Moïse Touré qui a déjà travaillé avec certains membres du collectif auquel j'appartiens [Béneeré, NdlR] et Christian Schiaretti est passé par lui. Moïse a été le pont.
Vous travaillez surtout dans votre pays, le Burkina Faso, ou en France ?
Dans le collectif un certains nombre d'artiste sont entre l'Afrique et ici. Moi je suis très souvent ici mais je travaille aussi en Afrique Centrale, au Congo, au Burkina et puis je serai aussi à Avignon cet été avec une pièce que j'ai écrite et que je mets en scène aux Pénitents blancs Et si je les tuais tous Madame ? Et un autre texte, Terre rouge, mis en scène par une femme Marie-Pierre Bésanger.
Est-ce qu'il y a une approche différente du théâtre ici par rapport à l'Afrique ? Sur la manière de travailler...
Oui c'est inhérent au théâtre car ce n'est pas possible de travailler de la même façon dans une structure comme le TNP que travailler dans nos théâtres ouverts, en plein air, dans des cours à Ouagadougou ou Kinshasa. Ce n'est pas la même façon d'accoucher de nos pièces, de les réfléchir, de les penser. Quand j'ai monté la pièce qui sera à Avignon, Et si je les tuais tous Madame ?, j'ai fait une résidence en Afrique et c'étaient des conditions économiques difficiles, ce qui est un avantage de mon point de vie, sans un luxe monstrueux, c'est une façon pour moi de maintenir l'alerte, la création, l'envie, l'excitation, ce qui ne veut pas dire qu'il faut qu'il n'y ait pas de moyens. Comme c'est différent d'accoucher pour une femme au sens littéral à Paris ou en Afrique, ce n'est pas la même chose de faire du théâtre ici ou là-bas. Le fait qu'ici ce plateau soit énorme, avec 38 personnes sur le plateau fait que c'est différent.
Pour revenir à Une saison au Congo, comment cette histoire résonne pour vous, alors que ce n'est pas celle de votre pays ?
C'est une histoire humaine surtout. C'est pas du toute n'est pas l'histoire d'Aimé Césaire non plus. À un moment donné on est avant tout une communauté comme le dit Césaire dans son discours sur la négritude. Nous portons l'histoire. Quand je joue cette pièce, même si je sais que c'est une histoire congolaise et belge, je vois aussi une histoire burkinabé avec Sankara. Il y a des similitudes incroyables alors que l'histoire s'est déplacée aux Burkina vingt ans après. C'est quand même relatif au décret de Berlin (NdlR : début du colonialisme et partage de l'Afrique). C'est la même politique appliquée. On ne voyait pas des hommes et des femmes mais des endroits où puiser des richesses. Donc on est lié par ça entre les Congolais, les Burkinabés... Quand on prend la trahison de Mokutu par rapport à Lumumba, c'est similaire à la situation actuelle au Burkina. Si Christian monte cette pièce, si des gens vivant ici viennent la voir et sont touchés, c'est qu'il y a théâtre. Pour moi, le théâtre c'est transcender l'histoire individuelle pour créer une communauté, c'est le partage d'un moment. Ca s'accomplit à partir du moment où la pièce est portée vers et par un public.
Ce n'est pas au programme mais vous aimeriez porter la pièce là-bas ?
C'est une question importante car aujourd'hui pour moi l'inégalité se vit à ce niveau, en tant qu'artiste burkinabé, ensuite africain, ensuite citoyen du monde, même si je n'aime pas ce terme, ce serait dommage que la pièce ne soit pas jouée là-bas, que ce que nos apportons ici ne soit pas n'aille pas chez les nôtres. C'est toujours frustrant et dommage que nos créations ne soient pas vues chez nous. La ville n'a pas besoin que d'ONG mais aussi de culture, de ce qu'elle sécrète pour faire aussi un contrepoids à la télé.
Comment ce serait reçu ?
Aucune idée. La réception ne peut être que plurielle entre ceux qui connu ou pas, aimé ou pas, Lumumba. Cette pièce doit alimenter cette réflexion. Le théâtre est là pour susciter débats et contradictions et si on arrive à mener la pièce là-bas, il faudra faire des discussions. Aujourd'hui la jeunesse est un peu à la croix des chemins un peu désorientée. Avant on avait des leaders crédibles comme Mandela, Sankara. On s'accroche à ces gens mais c'est dommage car ils ont lutté pour être des points d'appui et donc des points d'accroche alors que là j'ai l'impression que ça stagne. Aujourd'hui, les gens au pouvoir en Afrique effacent à tort l'histoire.
Les artistes prennent donc le relais...
Je n'ai jamais séparé le théâtre de la politique. Mais ce n'est pas partisan. Je ne crois pas aux partis politiques ici comme là-bas. Dans tout ce que je fais au Burkina, j'espère ne pas oublier l'histoire. Comme on disait avec Moïse : pour changer l'histoire, il faut commencer par changer son voisin. Heureusement que Christian est venu nous voir sinon, ça aurait été comme dans une équipe de foot avec des achats de joueurs, on aurait pris nos salaires et voilà.
Vous évoquez le collectif. Dans Une saison au Congo, il y a vraiment une impression forte d'équipe soudée. Vous avez senti cette alchimie ?
Oui. D'une certaine façon Christian a installé très vite une famille une fratrie à travers le dispositif. Il y a quatre familles ici : notre collectif, le TNP, l'équipe musique, Christian et son assistant et très vite tout s'est rassemblé. On porte gaiment le spectacle. Tout de suite on a senti la nécessité et la responsabilité de porter Une saison au Congo, un hommage à Césaire et Lumumba. C'est la chose qui m'a beaucoup intéressé dans la démarche de Christian est aussi l'aspect politique et comment un théâtre comme celui-là fonctionne car on n'a pas de telles structures énormes dans nos pays.