Le grand saut

Le grand saut
Pour le meilleur et pour le pire

Théâtres romains de Fourvière

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

"Pour le meilleur et pour le pire" est la pépite inattendue des Nuits de Fourvière 2013, le Cirque Aïtal, duo acrobatique formé par Victor Cathala et Kati Pikkarainen, y réussissant la prouesse d'être à la fois infiniment technique et poétique. Rencontre avec ce couple à la scène comme à la ville, qui manie comme personne l'art de l'équilibrisme. Nadja Pobel

Vous avez des parcours très différents. Quels chemins vont ont menés au cirque ?
Kati Pikkarainen : Enfant, j'ai voulu faire du cirque comme un hobby. J'ai commencé à huit ans dans une école de loisirs en Finlande, mon pays, dans une petite ville à côté de Helsinki. Et j'ai aussi été formée en Russie, car il y avait des échanges avec une école de cirque de là-bas. C'était vraiment accessible, ça ne coûtait pas cher, dans une banlieue un peu retirée... Un monsieur avait monté cette école pour sortir les enfants des rues. J'y ai rencontré mes copines, c'est devenu une passion, on faisait des spectacles chaque week-end. Vers treize ans, ces spectacles sont devenus plus professionnels et à seize, j'étais convaincue que je voulais en faire mon métier. Mais je ne savais pas vraiment comment m'y prendre. J'avais par ailleurs du mal à me concentrer à l'école, j'étais un peu paumée. Puis un de mes enseignants de cirque, un Français, m'a dit qu'il y avait de bonnes écoles où décrocher un diplôme en France et à Montréal. J'ai choisi la France car il y avait une école d'état qui ne coûtait rien, le CNAC [Centre National des Arts du Cirque, NdlR] à Châlons-en-Champagne. J'ai présenté un dossier et j'ai été prise.
Victor Cathala : J'ai fait sport-étude de foot en Haute-Garonne. C'est le sport qui m'a fait avancer dans les études, puis j'ai bifurqué car l'esprit compétitif ne m'intéressait plus. Je me suis dirigé vers l'agriculture. Je ne suis pas issu d'une famille d'agriculteurs mais avec mes cousins, on voulait monter un Groupement Agricole d'Exploitation en Commun. Parallèlement, je faisais aussi de la voltige équestre dans une petite école de cirque à Latrape. Ce sont les chevaux qui m'ont amené au cirque. J'ai ensuite envoyé un dossier à l'Ecole Nationale des Arts du Cirque à Rosny-sous-Bois et j'ai été pris. Je n'y connaissais rien mais ce milieu m'a vite beaucoup intéressé. J'avais des aptitudes physiques, mais aussi beaucoup de lacunes en souplesse, en coordination... J'ai travaillé. Et c'est en 1999 qu'on s'est rencontré avec Kati à Rosny. Le cursus de l'époque nous faisait passer deux ans à Rosny et trois et demi à Châlons.
KP : À la sortie du CNAC on a fait notre premier numéro, LeCirqLe avec Roland Shön.
VC : On ne voulait pas sortir de l'école sans numéro. On a présenté notre travail au Festival Mondial du Cirque de Demain à Paris et on a reçu la médaille d'argent. Ça nous a ouvert des portes et on a pas mal bourlingué avec ce numéro. Puis l'envie de créer une compagnie est arrivée, en 2004. On a choisi comme nom Aïtal qui signifie «c'est comme ça» en occitan.
KP : «C'est comme ça» car notre rencontre est un hasard. Sans pourquoi ni comment, elle s'est faite. On n'est pas des grands intellectuels. On est des gens du physique, et des fois mieux vaut ne pas réfléchir.

Vous avez appris des disciplines très diverses. Comment avez-vous choisi votre spécialité, le main à main ?
VC : Je n'avais pas le même physique qu'aujourd'hui, j'étais plus maigre. Je savais que je voulais porter mais je ne savais pas quoi ni qui, en l'air ou au sol, en collectif ou pas... Et le main-à-main m'a parlé. J'aimais cette relation de confiance et l'idée de répétition du travail.
KP : Au début, je n'avais pas forcément envie de créer un duo, parce que j'étais consciente que ça pourrait ne pas fonctionner. Je voulais travailler en solo ou dans un grand collectif. C'est finalement la rencontre qui a décidé de ça, les enseignants nous ont un peu poussé. C'était drôle, facile, agréable... Après nous avons voulu nous développer en créant un spectacle acrobatique. Nous avons alors fondé la compagnie, mais ça nous a pris trois ans pour finaliser La Piste là, notre premier spectacle. Parce qu'en même temps, nous étions interprètes pour d'autres, notamment Martin Zimmermann, qui était avec nous à l'école, et Dimitri de Perrot sur Öper Öpis. Pendant trois ans on n'a pas touché terre.

Quelle est l'origine de La Piste là ?
VC : C'est né de nos diverses expériences dans le cirque, entre cabaret, danse contemporaine...
KP : C'était notre mixture, avec l'envie de faire de l'acrobatie, de développer un langage corporel, comme une mosaïque de nos expériences, à la fois traditionnelle et sensuelle.
VC : On fait très attention à ce que notre travail reste du cirque. Ce n'est pas parce qu'on est sous chapiteau que c'en est obligatoirement, ça pourrait très bien tourner au théâtre. Mais dans notre cas si, car il y a un engagement physique important.

Avec quelles envies avez-vous créé votre deuxième spectacle, Pour le meilleur et pour le pire ?
KP : On ne voulait être que tous les deux sur la piste.
VC : On voulait se mettre à nu.
KP : On n'arrive pas souvent à avoir du recul, et on avait aussi envie de ça avec cette création. On a improvisé pendant quatre mois devant Michel Cerda, notre metteur en scène, sur la question du meilleur, du pire, sur ce que c'est que d'être engagé dans cette histoire qui nous passionne. C'est notre vie au complet, on n'a rien à côté. Même quand on est en vacances on s'entraine pour garder la forme, on parle du cirque...

Il y a quelque chose de très organique dans ce spectacle, avec l'utilisation de terre. C'est vous qui avez amené cet élément ?
KP :
Oui, on voulait un terrain nu, pas préparé comme une piste en bois, où il y a des calages pour les acrobaties. Nous souhaitions que cette piste puisse être celle de tout le monde, comme un terrain vague. Il peut s'y passer n'importe quoi. Nous on arrive avec une voiture [une Simca 1000, troisième personnage du spectacle, NdlR] et tout s'enchaîne.
VC : C'est un élément qui me parle comme j'ai fait des études agricoles, et qui permet de cacher des choses, comme la piste aux étoiles, recouverte dans le spectacle.

L'atmosphère est très cinématographique et très soignée...
KP : On n'a pas pensé consciemment au cinéma. Mais on aime bien ne pas tout montrer. Patrick Cathala a fait des lumières qui ne dévoilent pas tout.
VC : On voulait prendre le public avec nous et l'emmener là où on a envie d'aller, et que l'émotion, joyeuse ou non, soit à fleur de peau. On n'apprécie pas une chose sans qu'il y ait son contraire, le dur et le tendre, le plus et le moins, le meilleur et le pire. On est assez contradictoires.
KP : C'est une question d'équilibre. On besoin de l'autre dans cette discipline du main-à-main.
VC : C'est une question d'équilibre dans la vie aussi. On vit cette aventure riche et forte mais c'est très fragile, plus que pour un duo qui ne vit pas ensemble.

Votre spectacle est aussi très risqué. Comme gérez-vous le danger ? Le voyez-vous encore ?
VC : On ne fait pas semblant. Il n'y a pas de triche. On travaille beaucoup, on répète chaque matin pour avoir cette confiance, gagner en précision. Il ne faut pas trop en faire non plus. C'est encore une question d'équilibre, car on n'est à l'abri de rien.

Comment répétez-vous au quotidien ?
KP : Le soir on finit dans un tel état qu'il vaut mieux aller se doucher et se retrouver le lendemain matin pour se décontracter, enlever les tensions musculaires. On refait certaines figures s'il le faut ou on en fait des nouvelles. C'est aussi pour se réveiller, sinon on traine un état de fatigue jusqu'au soir. C'est un peu une routine.

C'est comparable à du sport de haut niveau ?
KP : Victor dit qu'au cirque, on dispute chaque soir une finale.
VC : Physiquement et mentalement il faut être OK. Il faut faire attention, ne pas se blesser car même blessé, on travaille, il n'y a pas de remplaçant. Mais on aime trop ça. C'est un engagement total, qui nous impose d'être en permanence à l'écoute de soi et de l'autre.

Pour le meilleur et pour le pire
Aux Nuits de Fourvière, jusqu'au samedi 13 juillet

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