«Rappelez-moi à 18h. Je vous raconterai ma vie. Vous allez voir, elle est passionnante». Affabilité, autodérision, soif de partage... Il suffit d'une phrase à Philippe Druillet pour communiquer l'essentiel de sa personnalité, tout comme il lui suffisait jadis d'un regard sur une moissonneuse sous un ciel étoilé pour imaginer des space operas baroques et barbares. Sa vie est effectivement passionnante. Ou plutôt ses vies. Photographie, théâtre, sculpture, décoration, design, peinture, Druillet a tout essayé, y compris en termes de drogues. Mais aucune ne lui a procuré de visions aussi fortes que celles, faites d'architectures délirantes, de cases éclatées et de figures lovecraftiennes, qu'il a couchées dans ses planches. Celles publiées par Goscinny, qui fut le premier à lui donner sa chance, dans la revue Pilote. Celles qu'il dessina aux côtés de Jean "Mœbius" Giraud après avoir fondé avec lui et Jean-Pierre Dionnet le "concurrent"Metal Hurlant, incubateur de toute l'avant-garde des années 70 (Tardi, Bilal, Gotlib, Schuiten, Lob...). Et surtout celles de Salammbô – adaptation pleine de métal et de fureur du roman éponyme de Flaubert –et La Nuit– une équipée sauvage nihiliste en mémoire de sa première épouse, emportée par un cancer –sommets d'une bibliographie colossale, exemplaire, influente - Star Wars lui doit beaucoup - et militante. Pas mal pour un fils d'irréductibles fascistes, baptisé en hommage au secrétaire d'État à la propagande du régime de Vichy, assassiné le jour de sa naissance par la Résistance, déraciné permanent que Céline fit sauter sur ses genoux et dont le seul horizon était une usine de pièces automobiles. Mais tout cela, il le raconte mieux que nous dans Delirium, l'incroyable (d'honnêteté et d'érudition) autobiographie qu'il vient de publier avec l'aide de l'écrivain David Alliot (un spécialiste de Céline, justement) aux Arènes. Il le raconte tout aussi bien dans la longue interview qu'il nous accordée (voir ci-contre) et que, fidèle à notre première impression, il a conclue par ces mots : «Tu dois avoir de quoi faire dix lignes là».
Benjamin Mialot
Delirium (Les Arènes)