Cette troisième et dernière semaine de Biennale, deux grands chorégraphes n'ont été que l'ombre d'eux-mêmes. Si Maguy Marin, avec "Bit", parvient encore à surprendre, William Forsythe, lui, se regarde danser lors d'une aussi virtuose qu'ennuyeuse "répétition".Jean-Emmanuel Denave
Pour résister aux cadences infernales imposées par la société, les artistes de cirque de Mathurin Bolze prenaient la "tangente", traçaient des lignes de fuite inédites. La chorégraphe Maguy Marin, elle, oppose aux scansions techno très entraînantes de Charlie Aubry (qui signe une impressionnante bande son) une farandole volontairement un peu gauche et désuète exécutée, bon an mal an, par six danseurs. Presque une sorte de frise, qui craque parfois, est reprise ailleurs, s'immisce parmi les interstices d'un décor constitué de six grands modules en pente. Plongés dans la pénombre, secoués d'électro ou bien baignés de nappes musicales inquiétantes, les danseurs suivent un fil, celui de leur rythme propre, jusqu'à l'hébétude, la chute, le raté, le choc avec l'autre... Dans Bit (le plus mauvais titre de la carrière de Maguy Marin, qui compte aujourd'hui 49 pièces), danse et musique sont en constant déphasage, mais surtout les danseurs déçoivent les attentes du public, résistent à l'unisson souhaitée. Il y a discordance, disjonction : «Car le réflexe c'est toujours de se mettre au diapason des autres : être discordant demande du courage... La tendance est de dire "je vais avec", il y a une résistance à dire "je ne vais pas avec" ; le public a envie "d'aller avec"» déclare Maguy Marin. Celle-ci émaille aussi sa création de quelques "tableaux" lourdingues : viol collectif par des moines, harcèlement masculin, combat d'insectes, etc. Le tout laisse une impression maussade, loin des grandes pièces de la chorégraphe, telles Umvelt ou Salves.
Du corps mais pas de graphie
Mais la déception est beaucoup plus importante encore avec William Forsythe, dont la (brillante) compagnie venait pour la première fois à Lyon, au TNP à Villeurbanne en l'occurrence. Study #3 (créée en 2012) pioche parmi plusieurs pièces anciennes du chorégraphe pour en relire ou en rejouer quelques fragments sans décor, sans éclairage particulier ni costume. On est souvent impressionné par la gestuelle du chorégraphe qui manie les torsions, les accélérations ou les mouvements spiralés avec, oui, génie. Ses interprètes sont époustouflants et donnent là une véritable leçon de virtuosité. Malgré cela, malgré cet hommage direct aux danseurs et à leur talent, on s'ennuie ferme et Study #3 tourne, au choix, à la démonstration ou au pot pourri. Rien n'est vraiment écrit, aucune ligne de tension ne se dessine dans la continuité. Assister à une sorte de répétition de William Forsythe a certes un intérêt. De là à la présenter dans une salle de spectacle...