Le Rize poursuit son exploration de la mémoire vive villeurbannaise, à la rencontre des ouvriers de la ville et de leur condition. Un beau travail qui donne à entendre des voix en danger d'extinction. Nadja Pobel
Il s'appelle Abdel, il a 46 ans. Au départ, son truc à lui, «c'était la BD, pas des Mickey hein, des bandes dessinées avec des scénarios et tout». Oui mais voilà, autodidacte, il a senti qu'il devait progresser et «les Beaux-Arts, ça coûtait une brique, et encore fallait acheter le matériel ; pour un fils d'ouvrier c'est pas possible». Ouvrier. Le mot est lâché. Abdel est nettoyeur dans le réseau TCL. Des équipes du Rize ont recueilli son témoignage, comme bien d'autres, en allant à sa rencontre avec de grandes pancartes à la main sur lesquelles était crayonnée cette question, titre de l'exposition : «Et ils sont où les ouvriers ?».
Dans ce centre dédié à la mémoire et aux sociétés – il abrite d'ailleurs les archives municipales – Villeurbanne se penche une fois de plus sur son histoire contemporaine avec une acuité qui force le respect. Ville industrielle par excellence – 60% de la population était ouvrière en 1930, les deux tiers dans les années 60 – c'est ici également que le déclin du secteur, des crises des années 70 à l'inexorable montée du chômage qui a suivi, a été le plus ardu à vivre. Aujourd'hui, seuls 18% des Villeurbannais sont ouvriers, trois points en dessous de la moyenne nationale.
Déchaînés
Cela, l'exposition le raconte sur de grands panneaux à lire, mais pas seulement. Comme à chaque fois au Rize, c'est la scénographie qui rend le propos non seulement digeste mais aussi passionnant et lumineux, quatre couleurs guidant le visiteur vers des albums photos (ceux du personnel de la maison Dognin, entreprise de dentelle mondialement réputée au début du XXe siècle), des histoires à écouter casque vissé aux oreilles, des activités manuelles (le coloriage d'un manifestant pancarte à la main, par exemple) ou une bibliothèque ne demandant qu'à être remplies de fragments de sa propre mémoire ouvrière.
Ce travail de transmission, fondamental, réaffirme l'ambition du Rize d'être un lieu pour tous, quand bien même ces ouvriers ne représentent qu'1% des visiteurs. C'est ce que précise avec une grande honnêteté cette expo forcément politique, notamment dans sa façon d'expliquer comment le vocabulaire a changé pour gommer la singularité de l'ouvrier, devenu un «opérateur» tandis que la grève se transformait en «mouvement social».
Si demain son fils lui annonce qu'il devient ouvrier, «alors je ferai quelque chose pour lui car j'ai peur de l'avenir» continue Abdel. «Mes rêves se sont envolés» avoue-t-il sans acrimonie, se souvenant malgré tout avec émotion de sa première paire de Nastase, payée «avec le travail d'un mois».
Et ils sont où les ouvriers ?
Au Rize jusqu'au 20 septembre