L'écrivain Tatiana Arfel et l'artiste Julien Cordier publient Les "Inconfiants", fruit d'une résidence à l'hôpital psychiatrique du Vinatier. La Ferme éponyme leur consacre une rencontre et une exposition.Jean-Emmanuel Denave
Invités en résidence par la Fête du livre de Bron à l'hôpital psychiatrique du Vinatier (de mars à septembre 2014), Tatiana Arfel et Julien Cordier y ont d'abord animé des ateliers afin de rencontrer patients, soignants et autres personnels de l'hôpital. Un hôpital en l'occurrence en mutation, qui regroupait alors ses services de psychiatrie adulte pavillonnaire en un seul et grand bâtiment.
Plus généralement, les deux comparses mettaient les pieds dans «un monde de fous» (pour reprendre le titre de l'ouvrage du journaliste Patrick Coupechoux publié en 2006) où la psychiatrie affronte les affres des normes gestionnaires et les impératifs d'efficacité à court terme.
«Le vieux pavillon s'est disparu, pfuiiiiit. Il ne respire plus, le bâti passé où je vins de par mes années vertes – celles où les infir-mères et les mets-deux-saints priaient encore en moi, paumes jointes, Vierge et Esprit, où ils pensaient que oui, j'irons bien un jour» fait dire à l'un de ses "personnages" Tatiana Arfel, dans sa langue toujours vive et truculente.
Chaque chapitre du livre donne ainsi la voix à un individu différent (patient, psychiatre, femme de ménage...) et est illustré d'un dessin-photographie de Julien Cordier.
Langue mineure
Comme dans ses trois précédents livres (dont le très bon La Deuxième vie d'Aurélien Moreau), Tatiana Arfel s'est imprégnée le plus possible des différentes personnes rencontrées au Vinatier. Elle est quasiment "entrée" dans leurs corps singuliers et souvent ralentis, et dans leurs esprits parfois disloqués, employant le "Je" par identification et se réclamant de la «langue mineure» de Gilles Deleuze, qui s'oppose et résiste à la «langue majeure» (celle du monde du travail, du pouvoir, de la publicité).
«Je ne considère pas exactement prêter mes mots à la parole des autres, nous dit Tatiana Arfel, mais, même si c'est une pensée magique de ma part, plutôt offrir aux personnages, par mon corps et mes mains qui tapent à l'ordinateur, une possibilité d'expression. Généralement, je ne sais pas d'avance ce qu'un personnage va dire, je cours derrière, il me surprend, et quand il meurt, alors que je ne l'avais pas prévu, c'est moi qui pleure...»
L'émotion, la drôlerie, la bizarrerie traversent les pages des Inconfiants, offrant une vision en kaléidoscope d'un "monde" à la fois si proche et si lointain.
Les illustrations de Julien Cordier, qui mettent sous tension le réel et l'imaginaire, sont elles aussi particulièrement originales et émouvantes. Sur tous les plans, ce livre est une réussite !
Tatiana Arfel et Julien Cordier
A la Ferme du Vinatier du 6 mars au 10 avril
Rencontre jeudi 5 mars, dans le cadre de la Fête du livre de Bron
Les Inconfiants (Le Bec en l'Air)