Après avoir remporté le prix interallié en 2012 avec "Oh...", le prolixe Philippe Djian revient en forme avec un roman rocambolesque que lui seul pouvait orchestrer : "Chéri-chéri", dont il est invité à débattre à la Fête du livre de Bron.Valentine Martin
Il le dit souvent, c'est la première phrase qu'il écrit qui lui indique quelle suite prendre. Philippe Djian est un auteur qui travaille sans plan et, jusqu'à présent, cela lui a plutôt réussi. Pour décrypter son nouveau roman, Chéri-chéri (Gallimard), il importe donc de se pencher sur sa première phrase, et même sur son premier paragraphe : «Le jour on m'appelait Denis. J'étais un écrivain qui connaissait un certain succès et qui avait la dent dure, comme critique. Certains soirs on m'appelait Denise. Bon, je dansais dans un cabaret.» Tout est dit.
Écrivain le jour, travesti la nuit, Denis est plutôt bien dans sa vie. Il a une femme, Hanna, poupée blonde aux gros seins, qui ne voit pas le problème d'avoir un mari portant des bas résilles. Elle le surnomme même chéri-chéri. Bref, tout serait parfait sans Paul. Ce dernier est le père d'Hanna, et il ne supporte pas la double vie de son gendre. L'ennui, c'est qu'il est aussi mafieux sur les bords et décide de mener la vie dure à Denis en le forçant à travailler pour lui. Au moins avec Véronica, la mère d'Hanna, il n'y a pas de problème, elle aime bien Denise. Peut-être même un peu trop finalement...
La libido selon Philippe
Ce n'est pas tant de genre que d'identité qu'il est question ici. Une identité assumée et brandie fièrement. Denis sait parfaitement qu'il est un homme qui aime s'habiller en femme. Mais il est surtout un homme qui aime les femmes, et cela lui coûtera cher. Car Chéri-chéri oscille en permanence entre le burlesque revendiqué et la tragédie. Philippe Djian se plaît toutefois à expliquer que dans un roman, l'important n'est pas tant l'histoire que l'écriture. A l'instar de Denis, son double de papier, il peut ainsi passer des heures à soigner son style.
Elle est d'ailleurs particulière, l'écriture de Chéri-chéri. Pas de chapitre, peu de respirations, comme si les 200 pages étaient faites pour être lues d'une traite – même les dialogues sont privés de leurs guillemets et retranscrits en style indirect. Mais c'est ce qui rend le roman si prenant. Ça et son vocabulaire, dont les détracteurs de Djian lui reprochent la vulgarité alors que c'est elle qui le fait sonner juste et facile d'accès.
Invité à la Fête du livre de Bron, Philippe Djian dialoguera avec Virginie Despentes (qui a récemment préfacé une biographie consacrée à l'auteur de Doggy Bag) le temps d'une conférence sur les illusions perdues. Denis en est plein : il ne sera jamais réellement une femme, il ne sera jamais accepté par tous – le roman commence même par une agression dont il sort abîmé. Durant quelques heures où Denise et ses amis Jacqueline, Milena et Ramon dansent et chantent, recouverts de gloire et de paillettes, la fiction est tout de même plus belle que la réalité. Tellement belle qu'on aimerait y entrer, dans ce cabaret chaleureux où Denise reprend des slows des années 80, et se laisser bercer par sa voix.
Les illusions perdues
A l'Hippodrome de Parilly dimanche 8 mars