Á la tête de l'ensemble Orfeo 55, la contralto Nathalie Stutzmann incarne à la Chapelle de la Trinité les héros de l'ombre de Haendel, à la voix comme à la baguette. Une prouesse. Philippe Yves
De Nina Simone à Antony and the Johnsons, de Kathleen Ferrier à Klaus Nomi, les voix androgynes exercent sur nos oreilles une réelle fascination. Et nous interrogent : masculin ou féminin ?
Nathalie Stutzmann est contralto : la plus grave des voix de femme, d'un registre à la chaleur et à la rondeur incomparables. Ce timbre et ses grands atouts d'incarnation dramatique font d'elle l'une des plus grandes chanteuses françaises.
Mais le défi de ce récital titré Héros est plus rare et réjouissant encore. Nathalie Stutzmann en sera non seulement la soliste vocale, mais aussi la chef d'orchestre, à la tête de son Orfeo 55. Elle qui se considère comme «une musicienne qui utilise sa voix comme instrument plutôt que comme une simple chanteuse» réussit en effet le tour de force d'associer la direction d'orchestre et le chant.
Mais si elle a manifesté son désir de direction tôt durant sa formation, il lui a fallu être tenace face au machisme ambiant du milieu et compter sur le soutien du grand chef Seiji Ozawa pour oser ce pari impossible. Alors qu'on ne compte plus les violonistes et pianistes menant des orchestres, le cas du chanteur/chef est rare, voire rarissime lorsqu'il est conjugué au féminin.
Il faut que tu respires
Il faut voir Nathalie Stutzmann et l'entendre quand, habitée par la partition, elle guide l'orchestre des inflexions de son phrasé et de son corps, faisant tour à tour face et dos au public. De cette performance, c'est la musique qui sort vainqueur, la diva pouvant ainsi maîtriser totalement sa lecture et guider ses musiciens vers son interprétation rêvée.
C'est du côté des rôles méconnus et secondaires des opéras de Haendel (dont Giulio Cesare, Orlando, Partenope...) que ses rêves de Héros nous conduiront ; un répertoire adéquat pour le joyau baroque qu'est la Chapelle de la Trinité.
Jouant avec les genres, elle puisera également parmi les airs destinés aux voix masculines l'un des morceaux de bravoure du programme : L'aure che spira (L'air qu'il respire). Un titre qui illustre à lui seul le miracle à l'œuvre : celui d'une double respiration musicale, de la chef et de la chanteuse, cet élan qui précède le son et dont toute musique découle. Écouter la Stutzmann respirer, c'est déjà un concert.
Nathalie Stutzmann
Á la Chapelle de la Trinité mardi 19 mai