Fidèles, les Subsistances convient pour leurs Livraisons d'été les Chiens de Navarre avec leur dernière turbulence en date, le très mordant quoique surévalué "Les Armoires normandes". Critique. Nadja Pobel
L'idiotie est une compagne pour les Chiens de Navarre. Ils en jouent et la moquent pour mieux détricoter les rapports humains, révélés à l'aune du travail, de la famille ou de l'amour. Et maîtrisent l'impro au point qu'il est impossible de savoir ce qui relève de la permanence ou du coup d'un soir.
Ainsi, aux Bouffes du Nord, en mars, il était question dès l'entrée des spectateurs de la mort de Rémi Fraisse, de Pascale Clark et Michel Onfray et de la police municipale armée de Béziers, sujets scandés par un homme cloué sur une croix. Derrière la potacherie en écho à l'actu du moment, c'est aussi la fragilité et la solitude humaines qui s'affichent : flingue à la main, le comédien rit de sa propre mort. La fragilité, c'est aussi la texture des spectacles des Chiens. Non écrits au préalable, ils sont composés d'une succession de sketches reliés par un fil rouge (le couple ici) et une fantastique gestion des transitions digne des meilleurs DJ sets – une scène s'arrêtant parfois en cours de conversation mais avec une justesse confondante.
Cependant, tout n'est pas égal, le numéro d'acteur (et ils sont tous excellents) prenant parfois le pas sur le récit, comme dans cette séquence paranormale où une jeune veuve tente d'entrer en contact avec l'âme de son défunt compagnon, via un charlatan hystérique. Autre écueil : le recours à la chanson française sonne comme une facilité un peu vaine. Je te promets d'Hallyday et Des gens heureux de William Sheller sont ainsi massacrés ; c'est drôle, bien mené, mais trop en roue libre.
Un parquet sableux
Car ce qui trouble le plus dans cette création, c'est bien le talent des membres du collectif pour ausculter leurs contemporains. Et ils le ne font jamais mieux que par leurs mots, d'autants plus tranchants qu'ils sont prononcés dans des scènes introspectives, tels ces défilés de couples interrogés sur leur union. Le vernis craque quand un duo dit, dans un souffle désespéré, avoir de la chance d'être conjoints.
Et quand il n'y a pas de faille, c'est la rigidité qui ne trouve pas sa place dans ce monde de l'inconstance («Vous êtes ensemble depuis 15 ans, comment est-ce possible de nos jours ?»), représenté par un décor de sable, qui dit là encore l'instabilité de chacun. Sans être frontalement politiques, les Chiens, menés par le metteur en scène Jean-Christophe Meurisse, savent aussi se situer dans le lieu même du théâtre, saluant les pauvres aux balcons du haut et les vieux dans le parterre des Bouffes, prouvant que leur lucidité accrue, d'abord appliquée à eux-mêmes, est probablement l'un des ciments de leur succès.
Les Armoires normandes
Aux Subsistances, dans le cadre de Livraisons d'été, jusqu'au samedi 13 juin