L'élaboration d'un casting de prestige (Catherine Hiegel, Didier Bezace, Isabelle Sadoyan) ne suffit pas à donner de l'entrain à la dernière création d'Arnaud Meunier. Statique et ankylosée, sa mise en scène du Retour au désert de Koltès ne convainc pas.
Un an avant sa mort prématurée, juste avant le Zucco qui fera polémique, Bernard-Marie Koltès veut s'essayer à la comédie avec Le Retour au désert, publié en 1988. La trame de fond est pourtant grave : la guerre d'Algérie. Mathilde, mère célibataire, revient du bled au terme de quinze ans d'exil et trouve sa maison occupée par son frère Adrien. Elle vient « récupérer ce qu'elle possède ». Lui a hérité de l'usine familiale.
À travers ce duo, la confrontation de la France à son histoire brûlante s'incarne ici, ses fantômes et ses démons, sa nostalgie crasse et son incapacité à regarder ses exactions en face. Le texte ne fait pas dans les nuances pour opposer ces deux univers qui s'affrontent comme sur un ring : féminin et masculin, progressiste et conservateur, voyageur et rivé à sa terre : « la province française est le seul endroit du monde où l'on est bien, le monde entier envie (...) son calme, ses clochers, sa douceur, son vin, sa prospérité » clame Adrien.
« Recommençons notre bonjour »
Mais de ce monde en mouvement permanent, il ne subsiste sur le plateau qu'une déroutante atonie. Les acteurs semblent figés, à commencer par la transparente épouse d'Adrien qui ne sait pas quoi faire d'elle-même. Elle va et vient dans un décor froid, certes très graphique et parfaitement éclairé mais totalement impersonnel. Cette esthétique convenait à la saga passionnante qu'Arnaud Meunier avait monté précédemment (Chapitres de la chute sur l'histoire des Lehman Brothers). Ici, tous les artifices du théâtre paraissent plaqués sans raison : la villa vide et la pelouse trop propre transposent plus le spectateur dans un quartier sans âme de Californie que dans la province bourgeoise hexagonale. Imposante et même encombrante, cette maison est un arrière-plan peu utilisé par les comédiens qui occupent le devant de la scène en adressant souvent directement leurs saillies (parfois drôles, parfois pataudes, très souvent cinglantes et avant-gardistes de la part de Mathilde, femme moderne par excellence) à la salle fréquemment allumée.
Ajouter un prélude en arabe n'était pas nécessaire pour accentuer la notion d'étrangeté et d'étranger que Koltès a déjà mis au cœur de sa pièce. In fine, à force de tout surligner par sa mise en scène, Meunier, directeur quadra de la Comédie de Saint-Étienne, livre une création à l'image léchée et a priori séduisante, mais se révèlant surannée ; lui-même paraissant ne pas lui faire confiance jusqu'à cette ultime scène de l'accouchement de la fille de Mathilde. Fatima donne naissance à des jumeaux noirs, Romulus et Rémus. Apparaît alors la statue des louveteaux romains (!) et résonne le tube de Nino Ferrer, Je voudrais être Noir. Soupir. NP
Le Retour au Désert
Aux Célestins du 3 au 11 février 2016