Le Film de la Semaine / Benjamin Millepied transmet à de jeunes danseurs du ballet de l'Opéra de Paris son inépuisable enthousiasme et livre, au terme d'un époustouflant contre-la-montre, sa première création en tant que directeur de la danse à Garnier. Édifiant et fascinant.
En 2013, la nomination de Benjamin Millepied à la tête du ballet de l'Opéra de Paris avait tout pour éveiller la suspicion des non initiés — eh quoi ! Trentenaire aux allures de gravure de mode, coqueluche des revues depuis son beau mariage avec une actrice à Oscar, il ressemblait moins au successeur attendu de la vétérane Brigitte Lefèvre, qu'à une concession à l'air du temps — un préjugé emballé dans un tutu rose, auquel sa démission expresse donnerait début 2016 la touche finale...
N'en déplaise aux cancaniers, la présence du chorégraphe à ce poste n'avait rien d'usurpée ; et son passage, pour météorique qu'il fût, se révéla tout sauf anecdotique : Relève démontre en filigrane des coulisses de la création de Clear, Loud, Bright, Forward, à quel point Millepied semblait taillé pour y accomplir de nécessaires révolutions.
Et Benjamin Millepied opéra...
Relève porte ce regard original sur l'élaboration du ballet promis par le titre — de l'esquisse à la première — tout en intégrant des éléments périphériques grappillés dans le quotidien de la vénérable institution : cuisine administrative, obligations protocolaires et promotionnelles, gestion d'ego, de corporatismes, coups bas et médisances... Ces à-côtés ne demeurent pas aux vestiaires durant les répétitions : les broutilles s'accumulent et participent du contexte artistique en parasitant sa continuité harmonieuse. Comment ne pas être perturbé dans sa concentration lorsque l'on dispose d'un temps limité, (haché de surcroît), qu'il faut changer chaque jour de studio de répétition ; qu'une menace de grève pèse sur la première, et que les planchers blessent les danseurs ?
Millepied ne se plaint jamais, affirme sans discontinuer son plaisir et sa chance d'effectuer son métier, galvanise sa troupe ; use de son crédit pour faire évoluer l'Opéra : abandon de l'absolutisme hiérarchique, ouverture à la diversité... Bref, déverrouiller une maison prisonnière de règles fossilisées. En menant de front ses chantiers, il agence par petites touches les pièces de son ballet ; libère de son aura les jeunes danseurs tétanisés par son prestige.
Et crée surtout un esprit de corps, plus qu'une œuvre éphémère. Demaizière et Teurlai capturent le fugace de cette transfiguration ; saisissent aussi ces (nombreux) moments où ce directeur si sollicité est introuvable. Conservant une distance admirative et une proximité critique, ils parviennent à faire entendre leur voix dans des séquences enivrantes de grâce, résonant comme une déclaration d'amour contemporaine à l'art de la danse.
Relève : histoire d'une création de Thierry Demaizière & Alban Teurlai (Fr, 2h) avec Benjamin Millepied et le corps de ballet de l'Opéra de Paris...