Ce film marque-t-il, selon vous, un moment crucial dans votre carrière ?
Xavier Dolan : Oui. Ce n'est pas un “entre-film” ; je ne l'ai pas fait envers ou en en attendant un autre. Les choses se prolongeaient sur la préparation de The Death and Live of John F. Donovan et moi, j'avais besoin de tourner, de raconter une histoire.
Quels rapports aviez-vous avec cette pièce de Lagarce et de manière plus générale, avec son théâtre ?
X. D. : Un rapport un peu ignare. Je n'ai pas lu toute son œuvre et je n'ai jamais vu ses pièces jouées sur scène. Anne Dorval un jour m'a parlé d'une pièce que je devais absolument lire, qui lui avait été donnée de jouer, absolument inoubliable, « faite sur mesure pour moi » selon ses mots. J'ai commencé à lire la pièce et je n'ai pas été convaincu de ressentir le choc qu'elle m'avait promis. Je l'ai rangée dans la bibliothèque.
Après Lawrence Anyways, Tom à la Ferme et Mommy, j'ai écrit le scénario de mon film américain, Donovan, et j'ai croisé Marion Cotillard à Cannes, puis Gaspard Ulliel. Dans l'avion du retour, je me suis dit qu'il était temps de trouver un vaisseau pour réunir ces talents et j'ai immédiatement pensé à Juste la fin du monde. Le projet est donc venu avant que je relise la pièce ; encore fallait-il que je l'aime ou je la comprenne. Mais cette fois, à la page 5, cela m'est apparu évident !
Qu'est-ce qui vous a alors autant captivé ?
X.D.: Les personnages compliqués, complexes, brutaux, violents, haineux, de mauvaise foi, amers, qui cachent une grande souffrance... Tout était là depuis le début ; je ne pouvais pas imaginer de personnages plus prometteurs, plus intéressants ni plus intrigants. Et cette langue de Lagarce, qui exprime leur malaise... Alors oui, j'ai changé l'ordre des scènes et l'action, mais je me suis exprimé visuellement comme je pensais que le film devait être exprimé. Ça donne un film que je trouve tellement différent des autres, où il y a des choses qu'on retrouve tout le temps : des manies, des regards, des angles, des nuques, des ralentis, une nostalgie de l'enfance et l'absence du père — mais ça, c'était dans la pièce !