Politique Culturelle / Mission de service fondamentale, la bibliothèque municipale de Lyon est au cœur de la politique de la Ville. À l'heure où Grenoble choisit d'en fermer, Lyon en (ré)ouvre trois, à commencer par Gerland depuis le 28 mars. Gilles Éboli, directeur de la BML, fait le point.
La fréquentation de la bibliothèque est stable voire en léger recul (2, 8 millions de visiteurs en 2015, 2, 5 aujourd'hui). Quelle analyse en faites-vous ?
Gilles Éboli : L'action de la ville de Lyon en matière de lecture publique est vraiment à souligner. On ouvre trois bibliothèques : réouverture de Gerland en mars, de celle du 6e – Clémence Hortet le 6 juin, puis première ouverture de Lacassagne fin septembre. On crée quinze postes. On met 15M€. C'est vraiment un projet énorme, et ce n'est pas le seul. Si on a eu moins de fréquentation, c'est qu'on a dû fermer des bibliothèques pour en rouvrir des nouvelles. On a un potentiel énorme de public. 16% des Lyonnais sont des abonnés de la BML. Pour la France, c'est un chiffre qui se situe dans la moyenne. Le chiffre des inscrits ne rend pas compte de l'activité - la bibliothèque n'est plus un stock de documents que l'on vient emprunter, c'est un espace de vie, un endroit où les citoyens peuvent se retrouver gratuitement. On n'est pas obligé de s'inscrire. Notre fréquentation a plus de sens. Et elle va augmenter avec la réouverture de Gerland, celle du 6e et la création de la bibliothèque Lacassagne. Quand on lui donne les moyens, la bibliothèque fonctionne car les gens ont besoin, notamment en ce moment d'élections, de s'informer et d'être éventuellement accompagné. Notre fonction est plus que jamais indispensable, c'est une fonction citoyenne, c'est pourquoi récemment on a eu ce projet Démocratie, pendant plusieurs mois, qui a rencontré le public.
À l'heure de Google books, de la numérisation massive du livre, y'a-t-il encore besoin de bibliothèque ?
Ce n'est pas du tout contradictoire. Quand vous avez 23 millions de livres accessibles sur Google books, qu'est-ce que vous faites ? Si vous n'êtes pas un expert de la documentation, vous n'en faites rien du tout. Vous devez être accompagné. Notre métier et notre lieu ont plus que jamais du sens.
Le fait qu'aujourd'hui toutes vos bibliothèques d'arrondissements (ne manque plus que les retours à la Part-Dieu) permettent le prêt et le retour de documents de façon automatisé, est-ce une façon de redéployer votre personnel sur ses missions premières ?
C'est un grand projet d'automatiser les prêts et les retours d'un coût de 3, 8 M€, car ça ne se limite pas aux automates. On a refait tous nos postes d'accueil car avant c'était des "banques", des barrières entre le public et le personnel qui lisait des code-barres. On offre désormais une toute autre image avec des agents qu'on peut et qu'il faut déranger.
Quand vous avez lancé la carte biblio en 2015, qui abolissait les différences de tarifs entre les supports, vous souhaitiez notamment reconquérir une catégorie du public qui était en baisse, les 13-29 ans ? Les avez-vous vu revenir ?
On a gagné sur le public jeune. Il y a eu plus de 10% de hausse. Mais le public le plus touché par la carte culture (abonnement bibliothèque + musée) est celui en difficultés sociales : + 40%. Auparavant, on avait un dispositif invraisemblable. Si vous étiez sous les minimas sociaux, vous pouviez emprunter des livres gratuitement mais pas des CD et DVD ; c'était anormal. Cette carte est pour eux gratuite. Une dame au chômage avec son gamin m'avait beaucoup touché car, en découvrant qu'elle avait le droit de se rendre librement aux expos permanentes mais aussi temporaires des musées, elle se demandait qui avait pu avoir cette idée : la Ville ! J'en suis très fier.
La bibliothèque de Gerland a rouvert le 28 mars dans un nouvel espace, trois fois plus grand que l'ancien. Quelle est sa spécificité ?
Le quartier de Gerland est le plus dynamique de la ville en termes de démographie. On a choisi un modèle qui fait un pas de plus vers la bibliothèque comme lieu de vie : moins de livres qu'auparavant, car il y a la bibliothèque de la Part-Dieu à quatre stations de métro, celles de Jean Macé et de la Guillotière dans le 7e, la bibliothèque Diderot de l'ENS à 100 mètres. Il fallait d'autres supports pour conquérir d'autres publics : il y a donc des jeux de société, des jeux vidéos, et c'est une première sur notre réseau malgré des expériences au Bachut. On peut les utiliser sur place, nous n'avons pas les droits pour les prêter. Ça nous permet de nous adresser aux 13-29 ans notamment. C'est aussi un fait de société et les bibliothèques ne peuvent pas y être étrangères.
Les bibliothèques, on les fait avec les habitants. Gerland est la première où nous avons été bien au-delà des enquêtes et des études préalables. Il y a eu des réunions publiques avec des élus, des techniciens et les habitants qui ont pu nous faire part de leurs souhaits quant aux collections, aux horaires, aux types d'animation.
Est-il envisagé que les horaires des bibliothèques soient étendus au dimanche ou en soirée comme le promet notamment Emmanuel Macron dans son programme de campagne ?
Actuellement, on ouvre Gerland 35h dans la semaine, c'est une heure de plus que la moyenne habituelle à Lyon, sans soirée et sans dimanche. C'est envisageable si ce candidat vient à être élu et s'il est soutenu par le maire de Lyon... (sourire). On verra bien. L'ABF, l'association des bibliothécaires de France, a interpellé l'ensemble des candidats sur leurs programmes autour du livre : on a parlé des bibliothèques de façon concrète, contrairement aux précédentes présidentielles. Seul le FN n'y a pas répondu. Cette mesure d'ouvrir plus est pleine de sens, je la défends, mais elle coûte.