Menacé d'une déplorable fermeture imminente faute de moyens suffisants, le musée urbain Tony Garnier continue néanmoins de proposer des expositions aussi accessibles qu'utiles et intelligemment menées. Celle sur l'habitat des français, des taudis aux Habitations à Bon Marché, ne déroge pas à cette règle.
Après dix-huit mois consacrés au confort moderne puis au béton (et à toutes ces incidences sur la massification de l'habitat), le Musée Urbain Tony Garnier poursuit son remarquable travail pour mieux comprendre comment le XXe siècle s'est adapté en France à un changement civilisationnel fondamental - la bascule du monde rural vers le monde urbain – et comment cette population, de plus en plus dense, a pu être logée.
Si quelques panneaux explicatifs éclairent des points précis (le rôle fondamental de l'Église, celui du patronat qui a abrité pour mieux les contrôler les ouvriers...), cette exposition est avant tout immersive. Il s'agit de ressentir comment on vivait au début du siècle, avec la reproduction d'une pièce de vie sous les toits quasiment dans ses dimensions originelles. Avec une collecte réalisée auprès des Lyonnais, voici un lit, des édredons peut-être vus chez vos ancêtres, une fenêtre type récupérée sur un chantier et des informations à même la matière réalisées par des décorateurs de théâtre !
Les objets racontent qu'en 1850, date de la première loi de salubrité publique (qui mettra du temps à être respectée), trois quart des 36 millions de français vivaient à la campagne. En 1931, ils n'étaient plus que la moitié. Les vagues d'immigrations vont mener à la construction des Habitations à Bon Marché. Là encore un intérieur type se visite, parfaitement reconstitué. À chaque fois des images d'époque sont projetées pour recontextualiser l'époque. Oui les taudis de Gerland, le "village-nègre", celui du Chaaba ont perduré jusque dans les années 60 ; des souvenirs personnels (mariage en super 8, vie d'une famille du Nord) jouxtent des infos de l'INA (la construction du Mur de Berlin, celle de Brasilia...).
Vintage ou réalité ?
Il faut voir ces images, en noir et blanc, le regard effaré des gosses mais aussi leur joie parfois de jouer avec trois fois rien en ignorant encore les ravages d'une maladie nouvelle, directement issue de ces conditions déplorables : la tuberculose. En 1948, 48% encore des logements n'ont pas l'eau courante. Le changement d'habitat, l'accession aux meubles grâce à l'ouverture du crédit bancaire ou la création d'Ikéa (1946 en Suède, 1981 en France, 1982 à Lyon, Vaulx-en-Velin), tout cela se lit sur une frise ludique avec rabats à manipuler.
Et les visuels du couple d'instit' Rossignol dans les années 50 résume ce nouveau mode de vie : maman fait les courses et prépare le repas pendant que papa coupe le pain sur la table du living room et que les enfants, chanceux, prennent un bain. La reproduction magnifique de ces dessins rétrogrades amorce une descente dans une dernière partie de l'expo qui rend hommage au titre emprunté à George Perec : invitation à s'allonger pour regarder une création graphique du jeune vidéaste Aurélien Cenet sur Espèces d'espaces, puis à ouvrir diverses portes et regarder l'habitat des Lyonnais d'aujourd'hui.
Car, tout en étant pédagogique et renseignant de façon synthétique et précise sur ces 150 dernières années, cette exposition n'est pas tournée vers le passé. Elle regarde aussi comment, même avec d'indéniables progrès, en matière hygiéniste notamment, le logement reste un Graal à conquérir sans cesse face à une flambée des prix constante et bien peu – ou pas – maitrisée par les pouvoirs publics. Et de rappeler ce chiffre de l'indispensable Fondation Abbé Pierre : en France, la crise du logement touche encore 4 millions de personnes sans-abri, mal logées ou sans logement personnel.
La vie mode d'emploi,
Au musée urbain Tony Garnier jusqu'au 16 décembre
À lire : La Fabrique des citadins (éd. MUTG)
Menace sur le musée
25 ans d'existence mais peut-être une fermeture définitive lors des prochaines Journées du Patrimoine. Financé par la Ville de Lyon (75 000€ par an, inchangé depuis dix ans), la Région (30 000€, en baisse) et le Grand Lyon Habitat (20 000€ + le loyer gratuit), le musée vivote et sa directrice Catherine Chambon réclame 30 000€ supplémentaires pour survivre. Outre la passionnante exposition en cours (et l'édition d'un ouvrage ad hoc), le MUTG assure, pour 45 000 visiteurs annuels, la visite de l'appartement témoin du quartier Tony Garnier, entretenu dans son jus et émouvant témoignage des années 30, celle du stade conçu par l'architecte à Gerland ainsi que la veille des murs peints et des bâtiments si spécifiques de ce quartier éloigné de la Presqu'île, dans un arrondissement quasiment déserté par les institutions culturelles.