Théâtre / En adaptant "Le Quai de Ouistreham", Louise Vignaud remet au jour ce livre de 2009, tragiquement encore d'actualité, soit la quête de travail insensée d'une femme sans diplôme magnifiquement campée par Magali Bonat.
Peut-être aurions-nous dû prendre conscience du morcellement irrémédiable du travail avant que la journaliste Florence Aubenas nous le livre il y a presque dix ans ou avant que Louise Vignaud et Magali Bonat ne le portent sur un plateau de théâtre. D'ailleurs, il ne s'agit plus de trouver du travail mais "des heures" comme il nous est précisé. Sûrement le savions-nous un peu mais la force tant du bouquin et plus encore du spectacle est de l'incarner, d'en faire récit. C'est simple, et Louise Vignaud en voix-off contextualise : la grande reporter (Libé, L'Obs puis Le Monde) s'est teinte en blonde, est partie à Caen et s'est inscrite à Pôle Emploi, sous son nom, pour gagner une vie jusque-là – fictivement – entretenue par un mari qui s'est fait la malle.
Elle sera femme de ménage, puisque comme lui assène un agent de l'ex-ANPE « vous êtes plutôt le fond de la casserole ». Ainsi, d'emblée l'humain n'est plus qu'une chose que des employeurs vont trimbaler dans les « sani », les douches des ferrys amarrés sur le Quai de Ouistreham. À ces trois fois 90 minutes réparties sur une amplitude horaire de 17h, il faudra ajouter d'autres contrats, d'autres déplacements que toutes et tous sont prêts à assurer : « on perd deux heures pour en gagner une, c'est normal ».
Le Graal nommé CDI
Face à cette langue forte, ciselée, il ne fallait pas s'encombrer d'accessoires. Une chaise pliante, un paperboard et basta. France Gall en bonne copine des corvées résonne ici. Peut-être, certaines descriptions auraient-elles pu être supprimées pour alléger ce flot comme lorsque que la comédienne joue un dialogue avec l'employeur lui demandant si elle a une voiture. Et de nous répondre « je mens immédiatement – oui bien sûr » alors qu'il nous avait déjà été dit qu'elle n'en possédait pas. Souvent, dans les seuls en scène, ce défaut émerge et entrave l'action.
Mais c'est de courte durée car Magali Bonat est saisissante dans ce rôle. Récemment passée par le théâtre permanent de Gwenael Morin (c'est dire sa capacité à ingurgiter des textes au long cours), elle mène cette histoire très sociale vers un versant intime, déchirant, à l'image d'une Anne de Boissy dans Lambeaux, comme si le rapport au travail était aussi viscéral que celui à la mère. Étourdissant.
Le Quai de Ouistreham
Au Théâtre des Clochards Célestes jusqu'au 26 mai
(En alternance avec Ventre, d'après le procès de Myriam Badaoui dans l'Affaire d'Outreau)