Fête des Lumières / En dépit des nuits d'hôtel (et pire, de Airbnb) qui flambent, des vins chauds au prix du carburant, entre les grandes places dédiées aux artistes confirmés, la Fête des Lumières est aussi un formidable laboratoire pour les jeunes talents. Souvent, c'est épatant. Rencontre avec ceux qui allument leur première flamme.
Ils sont jeunes, parfois moins ; ils ne sont pas encore connus du milieu artistique, parfois plus ; ils ne feront peut-être pas de la création artistique en lumière un métier, mais parfois c'est déjà le cas. Une chose les réunit : ils expérimentent. Là où Christophe Martine déclinera à nouveaux ses luminéoles (rue de la République cette année), quand les Anooki (en 3D cette fois) reviennent égayer la ville (à Bellecour), eux vont défricher. « La Fête doit garder le leadership en matière de projets de recherches et développement au-delà des grandes œuvres » confie Jean-François Zurawik, directeur des événements pour la ville de Lyon. Cette ambition se construit depuis quinze ans avec les Grands Ateliers de L'Isle d'Abeau à Villefontaine. « Lieu de mutualisation dédié à l'expérimentation et la recherche pour la construction » comme le définit le coordinateur pédagogique Bruno Vincent, cet espace réunit aussi bien des architectes que des ingénieurs et des artistes et accueille, le temps de leur création, les quinze lauréats d'un appel à projet lancé à une soixantaine d'écoles d'art, design et architecture en France et en Europe.
En 2003 et 2004, ces gagnants présentaient leurs maquettes dans de petits boxes de la galerie des Terreaux. Trop confinés, la Ville leur a ouvert l'espace public : sur les pentes de la Croix-Rousse dans un premier temps, place des Archives quand la Fête a franchi Perrache puis depuis l'an dernier sur la colline de Fourvière. Tous n'ont pas vocation à devenir des artistes comme Benedetto Bufalino qui a fait ses premiers pas dans ce cadre, avant de rencontrer le succès avec sa cabine aquarium déclinée l'an dernier en pelleteuse aquarium. Emmy Decoursière présente une chambre noire d'appareil photo dans laquelle elle a disposé de petits sièges reproduisant une salle de cinéma « qui oriente le regard », dit-elle. Ses trois vrais-faux projecteurs seront braqués sur la ville illuminée depuis la terrasse du restaurant Tête d'Oie. Sa consœur de BTS de design produit de l'école de Condé, Coline Lavie, ambitionne de guider les pas des passants en recouvrant des éclairages publics à hauteur de jambe de onze tableaux faits de pailles couleur en plastique. Petits projets ? Oui, mais c'est leur foisonnement qui fait leur force.
En contre-bas de l'Antiquaille, dans le Jardin Malraux qui accueille l'arrêt Saint-Just du funiculaire, ce sont les projets franco-allemands rejoints par les Roumains cette année, une façon de mêler l'expertise en lumière des premiers, en design des seconds et l'interactivité des troisièmes. Tout proche de là, sur la façade du collège Jean Moulin, utilisée pour la première fois l'an dernier avec Nuno Maya qui a cette année les honneurs de la cathédrale Saint-Jean, c'est une boucle de dix-sept minutes pour dix-sept projets différents qui prend place. Là encore, il est question d'émergence. Au printemps dernier, la Ville a sollicité de jeunes artistes pour participer à un "workshop mapping" co-animé par Marie-Jeanne Gauthé (par ailleurs aux commandes de l'installation à la Tête d'Or cette année) et a défini – fait quasi inédit dans la Fête - deux thèmes : éveil ou cirque. Toutes les techniques sont possibles : du motion design à l'illustration qu'utilise la jeune Cindy Lo issue de l'école Estienne et des arts-déco de Paris.
Lumières incubées
Cependant l'émergence ne se circonscrit pas à la prime jeunesse. La Fête des Lumière se veut un terrain d'expérimentation aussi pour des artistes plus confirmés comme Jean-Pierre David, habitué aux spectacles de rues et lancements de boutiques de luxe qui trouve ici « une formidable liberté ». Il a profité de cette carte blanche pour créer Tensegrity (dans le quartier Grolée), six immenses tubes gonflables de néon pour rendre tangible la tenségrité, ce principe physique qui permet à des éléments de tenir en tension par la seule pression de l'air.
Enfin, l'équipe du Mirage Festival dédié aux cultures numériques se fait sa place à la Fête pour la troisième fois. Associée au studio Chevalvert, elle permettra, place du Griffon, avec Rythmus, à deux personnes simultanément d'animer 36 totems lumineux dessinant un cercle de six mètres de diamètre. L'interaction entre le pouls des deux participants s'adressera aussi à tous les autres spectateurs tant l'esthétique des courbes est travaillée. Un autre lumineux, réalisé par l'équipe du Mirage et Encor Studio, est caché dans la cour de la Fondation Bullukian : Frontier.
Partout donc se niche la lumière par delà les installations-phares. Seul bémol, le rétrécissement tant géographique que temporel de la Fête. Depuis les attentats de 2015, l'espace est restreint et la durée d'exposition limitée à quatre heures par jour contre six auparavant, du fait du temps de vacations des forces de l'ordre faisant de la France un des pays les plus stricts en la matière.
Fête des Lumières
À Lyon du jeudi 6 au dimanche 9 décembre
