Rap / Le rap francophone truste les salles lyonnaises. Et les remplit. Ce genre autrefois rebelle et conscient, désormais divertissant, remplace aujourd'hui de plus en plus la variété.
Et si c'était le rap francophone qui sauvait les grandes salles de concert ? À Lyon, sûr, la montée en puissance de cette scène n'a pas laissé indifférent les gestionnaires de lieux et de festivals : au Transbordeur, depuis deux ans, les concerts de rap font le plein et sont pour beaucoup dans la bonne santé financière actuelle du spot historique de Villeurbanne, comme un cran supérieur, du côté de la Halle Tony Garnier, l'on savoure l'explosion populaire du genre qui permet aujourd'hui à des PNL et des Soprano (ce jeudi 4 avril) de remplir une salle jusque-là squattée par des chanteurs de variété française et des stars de classic rock anglo-saxons, tous vieillissants et en fin de carrière ou tout simplement, comme le dirait pas très finement Sibeth Ndiaye, dead. Et la relève tarde à venir : Dominique A n'est pas prêt de remplir une Halle. L'omniprésence du rap français comble de joie les directeurs de ces salles, ravis d'accueillir un public aussi large socialement que jeune et nombreux. Il est loin le temps où les programmateurs de salles estampillées rock flippaient à l'idée de programmer un rappeur (même si du côté des SMAC, ça n'a guère bougé) à cause des bastons, où une arme à feu était sortie sur le parking du Transbordeur, un soir de concert de IPM...
Pousse-toi de là, Johnny
Dans l'imaginaire des plus de 40 ans, le rap reste encore dénigré (même par ceux qui écoutaient IAM et NTM lors des années 88-95, répétant inlassablement que « c'était mieux avant, l'autotune c'est pas de la musique », oubliant tout ce qui a été dit autrefois sur les premiers utilisateurs de sampleurs...). Mais chez les vingtenaires, il s'agit clairement d'une nouvelle variété, fédératrice, populaire, écoutée partout et dans tous les milieux. Ceux qui trustent les premières places des hit-parades (en streaming), ce sont les rappeurs. Johnny (et ses scores faramineux de vente en 2018 pour son album posthume) restera sans doute le dernier des rois de la variété - le relais est déjà passé, PNL bat maintenant les records et tourne son clip au sommet de la Tour Eiffel, là-même où l'interprète des Portes du Pénitencier donnait - c'était en 2000 - un concert historique. Fin d'une époque, début d'une nouvelle ère, les chiffres le montrent depuis le début de la décennie 2010 et l'explosion de Sexion d'Assaut. Les collaborations aussi : de Passi avec Calogero à Tekilatex avec Lio, les deux genres ne se regardent plus en ennemis depuis longtemps. Mais l'un semble avoir phagocyté l'autre... Tout en vendant une partie de son âme : le son s'est adouci (voire aseptisé). De politique, de message, de revendication, il ne reste plus grand chose (des Last Poets à Public Enemy, c'est pourtant ce qui avait donné de la chair au genre). Aujourd'hui, les textes parlent surtout de consommation, le rap est divertissement. Pas conscientisation. Suivant en cela l'époque.
Que ces bâtards prennent leur retraite
Illustration cette semaine dans les salles du coin : Hamza, dont le tout frais album Paradise comprend un featuring avec la chanteuse Christine and the Queens, passe par le Transbordeur pour essayer de faire grimper encore un peu sa hype. Le Belge n'est pas le plus original du lot - un mixe de rap et de chant, de l'autotune... Le projet est ultra pop, calibré grand public, et démontre une certaine personnalité même si... On s'ennuie vite. Plus percutante, plus drôle, plus incisive et tout aussi belge, la paire Caballero & Jean-Jass lui succédéra dans la même salle quelques jours plus tard : c'est clairement cette date que l'on conseillera, d'autant que Isha, autre ciseleur de punchlines, est de la fête. Enfin, outre le poid-lourd marseillais Soprano déjà évoqué, il faudra surtout compter avec l'un des plus intéressants rappeurs de ces dernières années, Youssoupha, le fils du king de la rumba zaïroise Tabu Ley Rochereau, dont le dernier album Polaroïd Expérience dénote et démontre une virtuosité stylistique certaine mise cette fois au service de thèmes plus intimes, personnels : une petite merveille qui ne quitte plus la platine, en particulier le beau et nostalgique track La Cassette.
Finalement, Joey Starr et Kool Shen, qui viennent eux-mêmes d'annoncer la fin définitive du Suprême NTM, ont gagné : en 1993, ne clamaient-ils pas : « la variète nous prend la tête, que ces bâtards prennent leur retraite / il faut qu'on jette les vedettes, avant qu'on ne les pète ».
Hamza
Au Transbordeur le mercredi 3 avril à 19h
Soprano
À la Halle Tony Garnier le jeudi 4 avril à 20h
Caballero & JeanJass + Isha
Au Transbordeur le samedi 6 avril à 19h
Youssoupha
Au Transbordeur le mercredi 10 avril à 20h