Théâtre / Comme en 2014, Robert Wilson vient donner le coup d'envoi des Nuits de Fourvière. Avec sa version du "Livre de la Jungle", associé à CocoRosie, il propose un spectacle accessible à tous où sa science des lumières fonctionne, mais il pêche par manque de créativité.
Robert Wilson s'amuse. En 1h15, l'Américain s'aventure sur le terrain de l'enfance et embarque pour la quatrième fois le duo CocoRosie avec qui il avait signé récemment Peter Pan, Pushkin's fairy tales et Edda. Son savoir-faire en matière de couleurs et de découpage de la lumière s'y exprime à plein lors d'une introduction en forme de présentation des personnages devant un rideau de velours aux lettres du mot "Jungle" clignotantes. Bienvenue dans un univers enchanté, peuplé d'animaux souriants parmi lesquels se glissent un frêle garçon aux cheveux hirsutes et basketteur en herbe : Mowgli.
Ce qui appartient aux compétences de Robert Wilson est réglé au cordeau : les aplats de lumières vives, la scénographie qui, au cours des trois parties de cette fable, est une utilisation futée des verticalités et horizontalités du plateau. Mais d'où vient alors que le spectacle semble parfois être en roue libre ?
Petit d'homme
Dans cet écrin, les neuf acteurs/chanteurs forcent trop la séduction et les sourires figés, les chorégraphies manquent de synchronisation et surtout les fameux knee-plays (interludes), chers à Robert Wilson, grippent la fluidité de cette création (née à Luxembourg fin avril) tant les protagonistes au plateau s'agitent quand des fondus au noir auraient apporté un regain d'intensité. Les aspects un tantinet féroces de ce conte (avec le tigre Shere Khan) ont été délibérément évacués et il en devient trop "sucré". La partition musicale pimpante des sœurs Casady assure le liant entre les tableaux.
Pas réellement une comédie musicale, ce projet mêle chansons en anglais et phases parlées en français et est, visuellement, absolument identifiable comme étant une œuvre de Robert Wilson. Cet artiste de 77 ans est né artistiquement en France, et au monde, dans les années 70, dans le remarquable festival de théâtre de Nancy qu'avait initié un Jack Lang pas encore auto-caricaturé. Le metteur en scène et plasticien y présentait Le Regard du sourd, quatre heures d'une pièce hypnotique dont Aragon avait fait l'éloge de façon posthume à son ami André Breton. Et malgré trop de sautillements et d'espiègleries, ce Livre de la Jungle fait un clin d'œil appuyé à cette œuvre majeure du théâtre contemporain : un rocking chair où prend place une femme noire et la présence (par son cri cette fois) du corbeau. Spécialiste de l'effet de boucle (sonore, visuelle...), Robert Wilson est dans le fond fidèle à lui-même.
Le Livre de la jungle
Au Théâtre Antique dans le cadre des Nuits de Fourvière du 1er au 3 juin