Bob Wilson tire des "Nègres" de Genet un spectacle léché, fidèle à son esthétique haute en couleurs et qui, quoique peu compréhensible, s'avère diablement galvanisant. Nadja Pobel
Une troupe d'acteurs noirs répète le meurtre d'une blanche sous le regard d'un tribunal de blancs qui sont en réalité des noirs masqués. Bien malin qui pourra rédiger un résumé plus étoffé des Nègres en sortant du spectacle de Bob Wilson. Mais cette pièce alambiquée, que Jean Genet a écrit en 1958 pour le metteur en scène Raymond Rouleau, qui souhaitait monter une pièce interprétée par des acteurs noirs (c'est finalement Roger Blin qui s'en chargera l'année suivante), était-elle réellement plus limpide avant que l'artiste américain n'en livre sa version ? A l'époque, le colonialisme français que Genet entend dénoncer dans un geste bien plus artistique que politique s'éventait. Difficile de voir les traces de cet épisode historique-là dans le travail de Wilson, ne serait-ce que parce qu'il a amputé une partie du texte – il demeure toutefois une composante importante du spectacle en comparaison de ses autres oeuvres.
Distanciations, mensonges, provocations, duperie, Genet usait de tous les stratagèmes pour donner à son sujet des inflexions sans cesse différentes. Wilson, lui, a su extraire des moments clés par le truchement d'objets symboliques, comme ce couteau d'un blanc immaculé au manche pailleté ou cette fleur élégante et de bonne tenue qui représente la victime. La scène et le tribunal se mélangent dans un joyeux simulacre : une véritable «clownerie» comme le disait Genet, ce qu'a parfaitement compris Bob Wilson.
Panthone
Pensant la lumière de ses pièces avant même de travailler les déplacements, la scénographie ou la bande-son, Wilson joue ici des couleurs comme il le faisait de façon plus naïve sur Zinnias en ouverture des Nuits de Fourvière cet été, et le résultat est éclatant. Ou terrifiant, dans le cas de la scène d'ouverture, sombre, inquiétante et statique avant que les comédiens (absolument épatants) ne s'ébrouent comme des danseurs de music hall sur une musique jazz jouée live et ne revêtent robes et costumes sculpturaux.
Ne prétendant évidemment pas signer l'explication d'un texte ardu, Bob Wilson prouve ici, si besoin était, à quel point sa maitrise de la scène est totale. Rien de nouveau sous le soleil diront les grincheux à propos de cet artiste qui, depuis quelques années, créé certainement trop et s'auto-plagie parfois. Plus de quarante ans après avoir fait l'événement avec les longues et sciemment répétitifs Le Regard du sourd (1971) et Einstein on the Beach (1976), il s'amuse pourtant avec un souci de perfection toujours renouvelé. «Mais qu'est-ce que c'est donc un Noir ? Et d'abord, c'est de quelle couleur ?» se demandait Genet avant d'écrire Les Nègres. Wilson lui a répondu avec vigueur.
Les Nègres
Au TNP jusqu'au dimanche 18 janvier