Attention, curiosité ! Près d'un quart de siècle après sa sortie, le premier long-métrage des Frères Quay revient sur les écrans. Cette renaissance “hors du temps” lui offre un fier service en le nimbant d'une patine supplémentaire le rendant davantage atemporel et surtout en lui conférant ce prestige d'objet singulier dont il fut jadis un peu privé. Certes, on le remarqua à l'époque — comment aurait-il pu en être autrement : le bizarre se distingue toujours —, mais l'accent fut parfois mis sur des aspects éloignés de ses qualités intrinsèques (comme le fait, par exemple, qu'il soit signé par des frangins dans la décennie du centenaire du cinéma, où les paires fraternelles pullulaient : Coen, Washowski, Farelly, Dardenne...) On chercha aussi à l'inscrire dans la mouvance esthétique du néo-expressionniste pratiquée avec réussite, d'ailleurs, par une armée de formalistes titillés par la Chute du Mur : Lars von Trier (Europa), Steven Soderbergh (Kafka), Woody Allen (Ombres et Brouillard), etc.
Adaptation de Robert Walser, Institut Benjamenta (1995) emprunte certes à l'esthétique “caligaresque“ comme elle se réfère au style orphique de Cocteau (en particulier à La Belle et la Bête). Racontant l'arrivée d'un jeune homme halluciné dans une école de domestiques qui a connu de meilleurs jours tenue par les frères-sœurs Benjamenta, le film qui en découle privilégie la constitution d'une atmosphère d'étrangeté à la logique d'un récit : des relations incestueuses entre les directeurs aux rites d'enseignement sadomasochistes, on navigue entre The Servant et Eraserhead dans un décor que ne renieraient pas Jeunet et Caro. Venus de l'animation, les frères Quay ont composé ce frissonnant cauchemar en confiant le rôle principal au débutant Mark Rylance, auquel l'effrayant Gottfried John oppose une figure d'ogre amoureux plutôt terrifiante. Une expérience.
Institut Benjamenta
Au Lumière Bellecour dès mercredi 4 décembre