Portrait / Arts graphique et chorégraphique ne font qu'un pour Jean-Charles Mbotti Malolo, réalisateur de l'effervescent Make it soul, sublime évocation d'un duel entre James Brown et Solomon Burke. En lice pour le César du Film d'animation ce vendredi 28 février.
C'est tout un art de s'accomplir dans plusieurs disciplines distinctes ; encore faut-il y parvenir dans l'harmonie et avec la conscience des autres. Voyez Ingres : sa virtuosité de peintre et de violoniste ne suffisait pas à adoucir un tempérament qu'on disait... peu commode, par euphémisme. Fort heureusement, la grâce parfois touche des individus si aimables que l'on ne peut même pas leur en vouloir d'avoir reçu bien davantage de talents que le vulgum pecus. Doués pour la création, ils le sont aussi par nature dans les relations humaines ; un charisme inné ou une aura évidente qu'on serait en peine d'expliquer. Quiconque a approché le peintre-photographie-poète-comédien Viggo Mortensen, ou la comédienne-peintre-danseuse Juliette Binoche, peut ainsi en témoigner. Ah oui : ce supplément d'âme s'appelle la modestie.
« Beaucoup de gens pensent que je suis pointu dans les deux domaines. Mais dès que je suis avec des gens de l'animation ou de la danse, je suis l'inculte... » Sourire lumineux, voix posée, le chorégraphe et cinéaste d'animation Jean-Charles Mbotti Malolo appartient à cette généreuse guilde de créateurs qui, taraudés par le doute quant à leur propre travail, ne se privent jamais de clamer leur admiration pour celui des autres : « il y a beaucoup de gens pluridisciplinaires dans la danse comme Raphaël Stora, Benjamin Millepied, Philippe Decouflé... Et dans l'animation, les doubles talents sont fréquents. Lia Berterls, par exemple. Elle est réalisatrice, elle fait de la batterie, elle chante — et ça transpire dans son taf, c'est tellement musical... Cette fille est géniale ! En plus, elle est productive et a un film sélectionné chaque année au festival d'Annecy. »
Un dense dessein : danse et dessin
Cette sincère faculté d'admiration n'est pas étrangère à la construction artistique de Jean-Charles Mbotti Malolo : « j'ai toujours dessiné très très jeune ; je pense que c'est héréditaire, mes parents dessinant très bien tous les deux, même si pour eux c'était “à côté“. Avec mon frère, on n'a pas forcément appris en les regardant faire, mais on a reçu la fibre. Et puis à neuf ou dix ans, j'ai vu dans un reportage sur l'école des Gobelins un line test avec un singe qui se balançait de branche en branche... Ça a allumé une étincelle : le métier d'animateur, c'était absolument ce que je voulais faire dans ma vie et je le ferai. Par la suite, je n'ai pas eu besoin d'attiser la flamme : c'était en veilleuse. » Fabriquer du mouvement comme on fabrique de nouvelles mécaniques... Sans vraiment s'en rendre compte, le jeune Jean-Charles, qui se rêve aussi inventeur d'objets et bricole des dizaines de petites constructions, a eu une vision précoce de son métier. Pourtant, le chemin sera long et tortueux avant d'accéder à son rêve. S'il continue à dessiner durant sa scolarité dans le Nord-Isère, il est perçu comme un cancre, les équipes enseignantes n'ayant globalement aucune considération pour ses aptitudes graphiques. Au moment décisif du passage en seconde, alors qu'il aurait pu être orienté vers un établissement lui permettant de cultiver ses talents, c'est la douche froide : « le dossier qu'on m'avait fait était une catastrophe — et avec le recul, je ne crois pas avoir été si catastrophique (sourire). Peut-être que je fantasme, mais je pense qu'on me l'avait saboté, parce que je symbolisais la ZEP. » Jean-Charles ne s'avoue pourtant pas vaincu. Avec sa mère, il effectue durant deux semaines la navette entre Charvieu-Chavagneux et Lyon, menant une campagne intensive auprès de toutes les écoles, façon casting, pour trouver une place. Finalement, c'est un lycée professionnel privé de la Croix-Rousse, Jean-Baptise de La Salle, qui l'accepte en section littéraire arts plastiques. « J'ai trimé tout le mois d'été qui restait pour me payer l'école, parce qu'il fallait contribuer. Ç'a continué ensuite avec l'École Émile-Cohl. »
Une fois dans sa voie, Jean-Charles s'épanouit, se révélant un étudiant brillant et salué par ses professeurs. Parallèlement, il nourrit une autre passion : le break, qu'il pratique depuis l'âge de 14 ans, polissant à l'occasion le parvis de l'Opéra de Lyon en compagnie de quelques-uns des membres du Pockemon Crew. Cette relation privilégiée à la musicalité du corps dans l'espace va tout naturellement irriguer son œuvre, lui donnant une poétique et une dynamique singulières. Réalisé comme travail de fin d'études, son premier court-métrage Le Cœur est un métronome (2007) raconte ainsi la brouille et les retrouvailles d'un père et d'un fils en empruntant une forme de ballet muet. Élégant et enlevé, le film est remarqué mais suscite chez le jeune auteur une réaction paradoxale lorsqu'il s'attelle à son projet suivant : « dès l'écriture, je m'étais astreint à des dogmes : des personnages “normaux”, des dialogues et surtout pas de danse. Je n'assumais pas d'être estampillé “le mec qui fait de l'anim' avec de la danse“ » Résultat ? Lorsque Le Sens du toucher est terminé, Jean-Charles est bien forcé de constater qu'il s'agit d'une histoire entre deux personnes sourdes, sans dialogues, avec de la danse... « C'était involontaire, ça me rattrapait... ». Plutôt que de fuir l'évidence, et voyant combien le dialogue entre les deux disciplines peut s'avérer fécond, le réalisateur s'en fait une raison — « ce que TU TE reproches, cultive-le : c'est toi », dirons-nous en parodiant Cocteau.
« Je l'accepte un peu plus aujourd'hui. En fait, quand je crée une histoire, tout se mêle dans ma tête. Une idée peut naître de quelqu'un que je vais voir faire un mouvement étrange avec son corps ou d'une conversation intéressante qui se traduira par de l'énergie corporelle. »
Dress code : casse-code
Alors, quand Amaury Ovise de Kazak Productions vient le chercher pour réaliser un court illustrant le soir où James Brown détrôna le roi de la rock'n'soul Solomon Burke (Please Please Please, qui deviendra Make it Soul), Jean-Charles est ravi. Travaillant autour de l'univers graphique de Simon Roussin (et de ses rendus bariolés au feutre), il crée une évocation de l'Amérique des années 1965 flirtant avec l'abstraction et le flamboiement synesthésique, où la danse est plus présente que l'on croit : « certains pensaient en voir davantage dans le film ; à l'inverse d'autres ont réussi à la percevoir là où je l'ai placée : à travers la caméra. Ce qui m'intéressait, c'était de faire danser la mise en scène. La danse peut être désincarnée, se trouver dans les rythmes de dialogue... » Un festin visuel électrisant tous les publics auquel il est projeté.
Déjouer les attentes et casser les codes, voilà l'autre envie de Jean-Charles. Pour Les Mots (2019), « qui n'est pas forcément un spectacle de danse, en langue des signes, mais pas que pour les sourds », il avoue avoir eu du mal à trouver des financements parce qu'il était « à la croisée de trop de chemin, en dehors des cases. » À l'École Émile-Cohl, où il officie désormais comme professeur, il aspire à faire bouger les lignes en compagnie notamment de Benoît Chieux, histoire de casser le risque de formatage... tout en ayant conscience que, sur un tel paquebot, la moindre décision peut avoir d'immenses conséquences sur les périmètres de ses collègues. « Ce serait le serpent qui se mord la queue qu'une structure vouée à la formation des artistes les arrête dans leur élan ! ». En parlant d'élan, Jean-Charles Mbotti Malolo a pris le sien pour les JO de Pékin. Pas comme athlète, mais pour une série dont il doit livrer bientôt le pilote au producteur, Bachibouzouk. Amaury Ovise a, paraît-il, fait un peu la tête pour cette “infidélité”. Ah, ces producteurs ! Ils sont tellement amoureux de leurs exclusivités qu'ils les multiplient... La preuve : Kazak compte avec La Nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel un autre finaliste au César du court-métrage d'animation. Gageons toutefois que c'est Make it soul qui fera tourner et retourner Kazak...
Repères
1984 : Naissance à Villeurbanne
2007 : Diplômé de l'École Émile-Cohl avec les félicitations du jury, son film de fin d'études Le Cœur est un métronome reçoit le Prix du meilleur 1er film au festival d'Hiroshima en 2008
2008 : Rejoint la compagnie Stylistik comme danseur-interprète. Il intègrera ensuite le collectif La Piraterie, en tant que chorégraphe
2010 : Décors du film Tante Hilda ! de Jacques-Rémy Girerd (Folimage)
2014 : Le Sens du toucher, son deuxième court-métrage, moissonne les prix à travers le monde, parmi lesquels le Prix ARTE France, lauréat du carrefour de la création à Annecy
2018 : Rejoint l'équipe pédagogue de l'École Émile-Cohl comme professeur d'animation. Sortie de Make it soul, troisième film court d'animation, mention spéciale au festival Fantasia 2018 de Montréal (entre autres), avec lequel il est en lice pour le César 2020