Photographie / 250 images du photographe Sebastião Salgado s'invitent à La Sucrière pour un voyage intercontinental époustouflant où le fantasme prend le pas sur la réalité du monde.
C'est sur la pointe des pieds que l'on évolue au milieu des 250 images du photographe brésilien Sebastião Salgado à La Sucrière. Sur la pointe des pieds car l'on a envie de se faire tout petit face à la fragilité tangible du monde. Bien que Salgado nous présente une planète immaculée et résiliente, cette vision fantasmée et hyperbolique nous rappelle sans cesse que cette beauté est en réalité fragile et mise à rude épreuve par l'humain. « Je veux que les gens sortent d'ici imbibés par la planète, de cette sensation que la planète est colossale et qu'elle a une capacité énorme de s'autoprotéger » nous confie le photographe.
Salgado n'a pas toujours capturé la splendeur, ses reportages en noir et blanc ont pendant longtemps été exécutés en terrains minés, saisissant les populations migrantes ou les travailleurs sur les cinq continents. Les reproches de certains critiques d'utiliser la misère, de la magnifier à des fins commerciales l'ont-ils poussé à changer de cap et à troquer la douleur du monde contre sa magnificence ? « À la suite de mon projet Exode, j'ai fait une dépression, j'étais profondément affecté par toute la violence dont j'ai été témoin. Le projet Genesis m'est venu quand j'ai commencé à travailler la terre. J'ai eu envie d'aller voir ce qu'il y avait de pur sur la planète, pour contrer cette violence. »
Planète vierge
Ainsi Genesis déploie un mythe, non pas celui du récit de la création du monde, mais celui d'une planète vierge, que la main de l'humain n'a pas encore altéré. Pour ce faire, le photographe est allé à la rencontre de populations aux cultures ancestrales, en Sibérie, en Amazonie, en Papouasie. Inaltérée par la modernité, la vie de ces hommes et de ces femmes ne semble pas dérangée par la déforestation, la montée des eaux ou par les conflits territoriaux bien que l'on sache que toutes ces formes de dangers existent. Idem pour les populations animales qui évoluent sans crainte. Que nous dit cette illusion, cette vision fantasmée et théâtrale de la terre nourricière ? Que nous aussi, à l'instar de Salgado, nous avons besoin d'être confronté à la certitude que l'humain n'est pas seulement un corps violent, qu'il n'a pas encore tout altéré. Et que nous dit le succès de cette exposition qui voyage depuis 2013 ? Que nous avons davantage besoin de mise en scène, de spectacle que de vérité afin de nous conforter dans une vision du monde spectaculaire et idyllique.