Jean-Yves Sécheresse : « moi, j'adorais les Who ! »

Jean-Yves Sécheresse : « moi, j'adorais les Who ! »

Rock & Politique / Il était surnommé "le shérif", lorsqu'il était l'adjoint à la Sécurité de Gérard Collomb à la Ville de Lyon, mais Jean-Yves Sécheresse, l'ancien prof devenu politicien, aujourd'hui conseiller municipal d'opposition, a toujours nourri en parallèle une passion dévorante pour le rock et la pop culture, au point aujourd'hui de faire paraître "Pop Music - un abécédaire politique" aux éditions Le Mot et le Reste. Passionnante somme où l'auteur dissèque les relations entre deux passions qui l'ont percuté de plein fouet dans les sixties pour ne plus jamais le lâcher. Magnéto.

Question Rock'n'Folk, ce mensuel que vous nommez "la bible" : premier disque acheté ?
Jean-Yves Sécheresse : Ah, Holy Bible ! Quand j'étais gamin, il n'y avait pas d'argent de poche, ça n'existait pas en France. Aux États-Unis, ça commençait à pointer. J'ai toujours eu comme cadeau de Noël des disques. Je les commandais, mais ce n'est pas moi qui les achetais. Je me souviens avoir eu ainsi les premiers disques des Them, des Pretty Things, des trucs comme ça. Ce premier disque des Them m'avait marqué. Moody Blues aussi. Et avant, un duo nommé Jan & Dean, un peu la queue de comète du twist. J'aimais bien le rhythm'n'blues — j'aimais pas trop Chubby Checker, par contre. Le 45t n'était pas cher à l'époque. Pour ma petite bourse, ça l'était... J'économisais, comme mes copains. Quand j'étais à Paris, on se répartissait les achats lors de réunions au sommet : l'un achetait My Generation des Who, etc. Après, on se les passait. 

Ensuite, on s'est mis à lire le Melody Maker, on mettait quelques pièces chacun pour en acheter un exemplaire. Nous avions eu un débat métaphysique et inquiétant quand le Melody Maker avait annoncé des mois à l'avance ce que serait la pochette du prochain disque des Rolling Stones, ça parlait d'une pochette 3D. On s'est interrogé sur ce que ça pouvait être, une pochette 3D... Les uns, dont j'étais, pensaient que ça allait s'ouvrir et que les Stones allaient en sortir comme dans les bouquins d'enfants. Pas du tout : c'était la pochette originale de Their Satanic Majesties Request, que j'ai toujours bien sûr. Un rien nous passionnait et nous inquiétait aussi ! 

À même pas seize ans, je suis allé à La Locomotive à Paris, il y avait à l'époque des enregistrements d'émissions de TV, j'y ai vu les VIPs, un groupe que plus personne ne connaît maintenant — c'était en fait les ancêtres de Spooky Tooth, avec la même formation, un formidable groupe de blues-rock, une présence du chanteur terrible. J'y ai vu les Who, je les ai revu plus tard bien sûr. Et les Pretty Things, avec le batteur fou qu'ils avaient à l'époque qui s'était accroché aux rideaux de La Loco. C'était la rébellion par procuration !

À l'époque où l'on arrachait les fauteuils de l'Olympia...
Je suis allé voir les Stones à l'Olympia, ma mère m'avait enfin autorisé à sortir. On ne sortait pas à l'époque, par rapport aux gamins de maintenant. Il y avait un groupe oublié, The Smoke, dont le titre fétiche était My Friend Jack et trois ou quatre premières parties, c'était extraordinaire ! Donc, les Stones arrivent sur scène, rideau fermé, première note de The Last Time, le rideau s'ouvre et dans l'instant tu entends tous les fauteuils de l'Olympia qui craquent ! Fou ! Jagger arrive avec une chemise à jabot blanche, un bouquet de fleurs et là, encore des rangées de fauteuils qui craquent... Les Stones, c'était le refus du vieux monde, même si ça paraît curieux quand on voit Jagger aujourd'hui. Mais je ne suis pas dans la ligne Attali, comme quoi le rock annonce des trucs, je pense que le rock est opportuniste et renifle bien ces trucs. 

Ce qui nous préoccupe surtout, ce sont les cheveux longs

Comment rentrez-vous dans le rock ? En fan, en suivant des mouvements comme les mods ? Ou tout de suite avec recul, en observateur comme aujourd'hui avec ce livre ? 
Contrairement aux mômes d'aujourd'hui, qui quel que soit le sujet auquel ils s'intéressent, ont des magazines, un accès à Internet —, nous, on n'a rien... Le seul journal que je lis c'est Disco Revue. Je ne les ai pas gardé, c'est un tort... C'est 70% rock'n'roll roots au début, à la Chuck Berry, et petit à petit ça devient rock pop, les Stones quoi. Il n'y a rien d'autre. À la radio il y a quedalle, à deux exceptions près : le Pop Club de José Artur, qui est fondamental. On écoutait ça planqué sous les draps. Et sur RTL, une émission dont j'ai oublié le nom. On est peu informés. On a probablement raté à l'époque plein de petits groupes qui avaient sûrement du talent, ailleurs qu'en Angleterre ou en France. 

Au collège, au lycée, nous sommes des petits groupes de passionnés. Surtout, l'autre grand problème, ce sont les cheveux longs. Pour rentrer au bahut — j'étais au lycée Arago à Paris —, on a les cheveux derrière les oreilles, et le surgé à l'entrée, s'il juge qu'on a les cheveux trop longs, nous met de côté et nous renvoie : il faut revenir le lendemain avec les cheveux coupés ! On s'est fait gauler plusieurs fois. Souvent, on dit que le mouvement lycéen avant 1968, c'est le Vietnam. Ok, pour quelques trostkystes. Mais ce qui nous préoccupe surtout, ce sont les cheveux longs ! On se fait virer des bahuts. On n'a pas le droit non plus d'avoir des insignes — il y avait une mode alors, sur les vestes, d'accrocher des insignes genre "Royal Club Nautique", et on n'avait pas le droit ! C'était une forme de laïcité réactionnaire un peu poussée à son paroxysme...

C'était ça notre truc, ces putains d'Anglais qui nous représentaient tout à fait : la gueule de Townshend, quand il était jeune, les Who avec leurs vestes Union Jack.... Moi, j'adorais les Who ! C'était ça la jeunesse. Et se constitue alors, aux États-Unis d'abord, un marché spécial jeunes. Qui consiste à prendre l'argent de poche des gamins : des sapes pour partie, Blue Suede Shoes ! Et des disques, essentiellement.

Et des comics...
Oui, mais les comics ça existait déjà depuis l'avant-guerre. Tandis que le rock arrive. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le rock n'est pas fait pour contester ou donner son point de vue sur la société. Si on l'avait demandé à Elvis Presley à l'époque, on risquerait d'être déçu... C'est quand-même un crétin sortant de nulle part. Mais c'est un gamin, qui n'est pas raciste contrairement à son environnement qui l'est totalement, et qui a une adoration pour la musique noire. Il connaît le blues, il écoute la seule radio afro-américaine de Memphis, mais c'est le déhanchement qui fait tout. Là, il se met à dos toutes les sectes réactionnaires, y compris l'église catholique, il apparaît rebelle alors qu'il ne l'est franchement pas. D'ailleurs il finira comme un pauvre con, réac' anticommuniste gavé de médicaments. Mais c'est ce rendez-vous entre rock et société qui est politique, c'est pour ça que les sectes et l'église s'attaquent au rock. Elles vont s'y attaquer pendant vingt ans avant de se dire : « et si on faisait du rock chrétien ? » 

En Angleterre, plus tard et en décalé, se passe la même chose : les Beatles sont vraiment le groupe qui est absolument apolitique, dans le sens imbécile du terme. Même Lennon le dit. Ils cachetonnent en Allemagne parce que la vie est dure, ils sont déjà âgés ! Contrairement à ce que veux exprimer la légende, Liverpool n'est pour eux qu'une sorte de gisement nostalgique. Penny Lane, tout ça : ce n'est pas du tout le Liverpool des grèves ouvrières, des chantiers navals, etc. Contrairement à ce que colporte également la légende, McCartney est plus un fils de prolo que Lennon. Alors que c'est le contraire qui transparaît pendant toute la carrière de l'un comme de l'autre. Mais ces putains de Fab Four, ils vont foutre un sacré bordel. D'abord avec leurs cheveux, comme quoi ! Ensuite, contre la morale et l'ordre établi. Ils sont au rendez-vous culturel, politique et sociologique d'un pays qui ne promet à sa jeunesse que l'après-guerre à perpétuité. Et les Beatles sapent cet après-guerre à perpétuité. 

Le second truc, ce sont les mods et les rockers : c'est beaucoup plus important qu'on ne le croie. Ils se mettent des peignées sur les plages de Brighton... C'est ce qui va foutre les jetons à la bourgeoisie et au gouvernement de l'époque, qui vont alors taper comme des fous, les mecs sont condamnés de manière extrêmement sévère par les tribunaux. Mais en même temps, ça va dégager. Ceux qui en font les frais, ce sont les Pretty Things, qui sont le groupe maudit, ne passent jamais la radio. Alors que les autres vont s'en servir de tremplin. Mais il y a toujours un rendez-vous me semble-t-il entre le rock, la pop et la politique. Pas de manière directe. Quoique le futur premier ministre travailliste se fait alors prendre en photo avec les Beatles à la Cavern... 

Vous avez longtemps tenu un blog sur le rock et la politique, ce livre en est la suite logique ?
Non. J'ai toujours été persuadé qu'il faudrait un jour écrire sur cette période sous cet angle de la politique. J'étais prof, je lisais Rock'n'Folk et Best avec amour et passion (je les ai toujours tous !), et j'avais ce projet, j'avais commencé, j'archivais des articles, il y en avait peu car la presse musicale abordait rarement la question sous cet angle-là. Mais le temps me manquait. Le blog, ça m'entretenait, c'est tout. Je continuais à lire, je suis abonné aux Inrockuptibles depuis le début, je lisais les articles sur la musique du Petit Bulletin : j'ai toujours été extrêmement surpris par la qualité de la sélection de votre canard. Un canard qui critique le disque de l'Armenian Navy Band, il n'y en a pas eu beaucoup, et j'ai lu ça dans votre journal. 

Comment on gère la rédaction d'un blog pas très politiquement correct et le fait d'être élu en même temps ?
Je fais partie d'une génération qui découvre la politique en même temps que le rock, un peu avant 1968. J'étais à Paris et 1968, ce sont les comités d'action lycéens, je me fais virer de mon bahut. Ma mère vient me réinscrire au lycée... Ça a chauffé à la maison pour Sécheresse ! On avait occupé le lycée Arago pendant quinze jours, c'était pas rien à l'époque. Mais en juin 1968, il y a eu la vengeance... Et le rock est toujours là. Alors que pas une chanson de rock n'est significative de Mai-68. La chanson totémique de ce mouvement, c'est À Bicyclette de Yves Montand. Pas du rock.

Street Fighting Man des Stones ?
Non, c'est après. J'en parle dans le bouquin : on l'aime tous cette chanson, mais elle est d'un opportunisme dont seul Mick Jagger peut être porteur. Le roi de la récup' ! 

On va faire la Biennale des CRS

Comment ça se passe quand vous êtes élu à la sécurité, que l'underground lyonnais vous attaque avec Gérard Collomb, alors que vous êtes souvent au coin du bar le soir aux mêmes concerts ?
Je m'en fous. J'arrive à convaincre pour Grrrnd Zero, personne comprend trop qui ils sont, au début ils sont installés dans le 9e, et je dis voilà, idéologiquement ils sont très loin de nous, mais c'est quand-même la famille, il y a la droite et la gauche, et eux ils sont de gauche comme nous. Je les considère comme des libertaires. Et intelligents. Je trouve que leur programmation est intéressante, après il y a des groupes proto-punk improbables, mais ça a toujours été comme ça. Moi je pense qu'ils jouent un rôle de développeur culturel extrêmement important. Après, ils ont leur orientation politique que je respecte. Après des crises, parce que c'est lourd ces machins-là, pour les services de la mairie, c'est pas clair... ils sont installé maintenant à Vaulx-en-Velin, je trouve ça très bien. 

En plus, on n'a pas fait les cons : on ne les a pas récupéré. Parce que si tu veux "tuer" des mecs comme eux, suffit de les récupérer. Il faut être respectueux, y compris avec des courants politiques qui n'ont pas grand-chose à voir avec soi. Je n'ai jamais eu de problème avec des concerts, avec la scène rock. Ils racontent ce qu'ils veulent, ça ne me gêne pas. 

Mon problème, c'étaient les attentats. À la Halle Tony-Garnier, on avait Foo Fighters qui passait le mercredi. J'étais président de la Halle, j'avais fait quelques années auparavant un pensum sur la sécurité et le terrorisme, au conseil d'administration ils m'avaient regardé en se disant que c'était une marotte d'adjoint à la Sécurité... On met alors un nombre d'agents de sécurité pour les concerts ! Je dis même, on va faire la Biennale des CRS, y a que ça qui va marcher si ça continue... Au Transbordeur, il y avait la petite Louane qui passait, l'équipe de la salle me téléphone, je leur dit n'en parlez pas : officiellement, vous êtes sur Villeurbanne, même si c'est la Ville de Lyon qui vous aident financièrement. Les parents du public de Louane étaient paniqués. Je leur dit au Transbo que la Préfecture ne souhaite pas une annulation. Je ne peux pas envoyer les flics non plus. Ils sont pas aidés le Transbordeur, Villeurbanne ne fout rien ! Mais ils font du bon boulot, et tout se passe bien.

Mes sueurs froides sur la sécurité, c'était plutôt des rappeurs qui se promettaient des fights. En rap, j'aimais beaucoup ceux qui faisaient le journal et le festival L'Original. J'avais beaucoup misé sur eux. C'était l'époque des Gourmets. J'étais un peu déçu qu'ils arrêtent, je pensais qu'on avait vraiment un truc à aider. Même si je faisais attention, je n'étais pas adjoint à la Culture : Patrice Béghain partait du principe que j'aimais le rock'n'roll et les autres conneries, et que lui s'occupait du reste, qu'il était l'adjoint de la vraie culture. Ce qui était le cas.

Comme quand je récupère les mecs de Woodstower qui se sont fait virer de La-Tour-de-Salvagny, c'est dans mon bureau que ça se passe, au groupe socialiste. Et après on va voir Béghain. J'ai donc plutôt des bons rapports avec tous ces zozos. Le rock ne m'a jamais posé problème. En marge de mes activités avec les flics, j'aimais bien aider ces gens. J'ai même terminé ma carrière d'adjoint à la Sécurité en recevant ceux qui ont sorti le disque Place Hubert Mounier, j'avais auparavant dénommé cette place Hubert Mounier près du Marché-Gare, une idée que j'avais en tête depuis longtemps. D'ailleurs, je n'ai même pas été invité par les Verts à l'inauguration de cette place. Passons.

Revenons sur le Bataclan, qui est l'une des entrées, fortes, du livre. Comment apprenez-vous les attentats le jour-même ? Comment on vit un tel événement en tant qu'adjoint  à la sécurité connaissant bien ce milieu des concerts ?
Quelques années avant, le Bataclan est loué à une association proche d'Israël. Quelques mecs de banlieue se sentent obligés de proférer des menaces. Je me dis que ça devient compliqué, la vie. Nous, on n'avait jamais eu de menaces, ni à la Halle Tony-Garnier ni ailleurs. Mais je m'étais dis, bon... 

Ce 13 novembre 2015, je rentre chez moi vers 21h, je mets la télévision, je mange seul et j'apprends ça ainsi. Je vais tout de suite voir sur le site du Bataclan quel groupe jouait. L'horreur monte au fur et à mesure. Dès le lendemain, on a un premier problème avec le tourneur de Kev Adams, qui veut être remboursé de l'annulation à la Halle car il n'y avait pas d'arrêté du maire. Mais mes deux vrais problèmes le lendemain, c'était Louane car c'étaient des gamins dans le public et les 17 000 mecs à la Halle pour Foo Fighters le mercredi. Heureusement, la tournée a été annulée. Après, le reste, il faut sécuriser. J'ai toujours été sur la ligne "on ne va pas se laisser emmerder par les islamistes", donc il faut partir du principe que l'on maintient tout. Si on ne le peut pas, c'est pour des raisons de forces policières — comme pour la Fête des Lumières, que l'on réduit, qui est une soirée à part. La Fête suivante, je passe six mois à la préparer avec la police ! Et pourtant, je ne suis pas un grand fan de la Fête des Lumières : tant qu'il n'y a pas de musique, ça ne m'intéresse pas.

Il y avait eu Charlie Hebdo, aussi, avant. C'était pendant le déjeuner des vœux à la presse de Gérard Collomb, on a tous appris ça à table. J'étais avec trois journalistes que j'aimais beaucoup, je crois que Frédéric Poignard était là. On s'est tous demandé quoi faire, on a fait cette soirée aux Terreaux... Pour l'anecdote, quelques mois plus tôt, un directeur d'un Intermarché s'était trompé dans une commande de bougies : il en avait commandé 100 000. Faute de frappe. Il a décidé de les donner à la Ville de Lyon, connue pour la Fête des Lumières. Elles sont là, les bougies, stockées. On met donc des milliers de bougies sur les escaliers place des Terreaux, le soir de l'attentat, parce qu'on les avait à la mairie.

Au début, je ne voulais pas écrire que sur le Bataclan, je voulais aussi parler par exemple de l'attentat au concert d'Ariane Grande à Manchester et des tas de trucs ailleurs dans le monde. C'est l'éditeur qui m'a demandé de resserrer et d'appeler l'entrée "Bataclan". C'est très bien ainsi. C'est Bono qui dit ça : c'est la première fois que le rock est atteint dans sa chair. Personne ne veut mourir dans un concert où il vient passer du bon temps. 

Vous faites un portrait très peu élogieux de Jesse Hughes, le chanteur de Eagles of Death Metal...
C'est une infâme saloperie. C'est comme ça. Il faut bien le comprendre : ce bouquin n'est pas lié à mes goûts musicaux. Il y a des tas de musiciens que j'adore qui ne sont même pas évoqués car ils n'ont jamais eu à fricoter avec la politique. Ça a été un sujet avec l'éditeur aussi : j'avais par exemple une entrée sur le death metal norvégien, je tapais comme un sourd dessus. L'un des groupes était diffusé par la FNAC à un moment... Bon. Il y a dans ce livre des artistes dont je dis du bien qui ne sont pas nécessairement des artistes que j'adore. Mais ils ont une confrontation à la politique qui me semble saine. Les artistes mobilisés sur le front politique, il y en a quand-même assez peu dans le rock. Démytifier un peu Lennon, ça me paraissait quand-même une nécessité. J'aime bien Patti Smith, mais politiquement... elle est creuse.

Il y a quelques cibles récurrentes dans le livre : McCartney, Lennon, Bono...
McCartney est une saloperie quand-même ! 

Et Jello Biafra, plus surprenant.
C'est l'incarnation de ce qu'est le punk politisé. Je mets de côté le punk suprémaciste, qui existe aussi. Le punk gauchiste, c'est un choix politique, et je fais un bouquin politique. Je pense que celui qui privilégie le combat contre les Démocrates plutôt que contre les Conservateurs mérite d'être dénoncé pour ce qu'il est. Jello Biafra incarne tout à fait ça. C'est pathétique depuis 25 ans ! Autant les Dead Kennedys, ça a un côté sain les deux ou trois premières années. Mais après ! Je pense même y avoir été un peu trop mollo. Penser que le gouverneur démocrate de Californie c'est l'ennemi principal, il faut qu'il assume Biafra ! Mais j'en aligne pas assez, mon éditeur m'a parfois calmé. Par conformisme. Ils sont tous conformistes.

L'époque est conformiste.
Bah ouais.

Pop music, sous-titre : un abécédaire politique...
C'est eux qui ont choisi, pas moi. Le manuscrit a été envoyé avec "pop, rock et politique" en expliquant que ce n'était pas un titre. J'avais ensuite proposé Chants de partisans.

...politique, donc, mais on parle aussi beaucoup d'économie dans ce livre.
Oui. Comme de religion. Quand je parle politique, je n'appelle pas à voter Obama, je pense aussi à des phénomènes sociologiques, je me vautre dans des inclinaisons religieuses bizarres, entre le Mahavishnu et les trucs comme ça, le rock a été loin dans ce domaine. La religion, toutes les religions... 

Il y a aussi une entrée "islam" dans le livre...
....moi je ne suis pas franc-maçon. J'ai été barbu, prof. Tout le monde en conclut que je suis franc-maçon. Dans la clique à la mairie, j'étais l'un des rares à ne pas l'être ! Je suis pour la laïcité, mais une laïcité intelligente. Mais à partir du moment où les religions ciblent le rock, c'est la réalité, les catholiques ont tiré sur le rock jusque dans les seventies, l'islam n'en parlons pas. C'est effrayant ! Golda Meir, ancienne Première ministre d'Israël, a été contre les Beatles. 

Revenons sur l'argent : vous parlez du rapport de Bono et d'autres à leur pécule. Et de leurs positions contradictoires... Vous parlez du rapport à la Bourse de Bowie, des paradis fiscaux, du fonds Hipgnosis... 
Bono et les Stones, principalement : on peut pas tout faire. Et Hipgnosis, ils viennent de racheter le catalogue de Justin Bieber ! Ça m'a fait mal. Bon, pour revenir à la question, l'argent beaucoup de gens pensent que c'est sale mais en général ils adorent cet argent, pas seulement dans le rock. Ça a été longtemps le cas des sportifs aussi. Le rock n'a jamais parlé d'argent alors qu'il s'en mettait plein les fouilles. Je cite un journaliste oublié, qui commet un article dans Playboy, qui parle pour la première fois de cette question : "où les stars du rock mettent-elles leur fric ?" Avant que des canards comme Fortune, plus tard, ne s'y intéressent. Il dévoile que Pink Floyd — c'était Joe la Fumette, des morceaux de 25 minutes —, tout leur pognon est à la Lloyd ! Il écrit que Donna Summer investit ses royalties dans des propriétés au Texas. On n'en parle jamais de tout ça ! On parle juste de Zappa qui a toujours des problèmes de fric. C'est la presse économique qui finit par titrer à propos des Stones : "mais que font-ils de tout cet argent ?". Jagger, qui a développé l'idée très tôt que les Stones se sont fait escroquer par leurs managers, ce qui n'est pas loin d'être vrai mais comme tous les autres ou presque, prend les choses en main, et c'est le tournant économique du groupe mais aussi du rock. Et plus ils gagnent d'argent, moins ils sont intéressants artistiquement. C'est Live Nation ensuite qui pose finalement la cerise sur ce gâteau. Je suis très heureux qu'ils aient des problèmes en ce moment Live Nation, ça leur remet un peu les idées en place. 

Mais au moins, Jagger ferme sa gueule. Tandis que Bono donne des leçons de morale à la Terre entière. Et à chaque fois qu'il est coincé, même par Michka Assayas dans un bouquin, Bono par Bono, qui est quand-même, enfin... on lui sert la soupe... Bono, il répond : "we are punk !". Ouais, va te faire foutre. Bono, je l'aime beaucoup — enfin, beaucoup, c'est un bien grand mot, mais le fric est un élément décisif du rock : il fallait remettre un peu les choses en place. Bon, les rois dans le domaine, ça reste les rappeurs...

Parlons rap alors : vous vous intéressez aux Last Poets, à Public Enemy, jusqu'à Kanye West... Comment voyez-vous cette évolution d'une musique née au temps des Black Panthers qui dérive vers l'ultra-libéralisme ?
Ce pays, en liquidant les Black Panthers — c'est ça à un moment donné : les Black Panthers ne sont plus que des cibles —, s'est fait beaucoup de mal. Les Black Panthers n'étaient pas ce que l'on a voulu en dire. C'étaient des laïcs. Et Eldridge Cleaver, quand il fait son émission avec Lennon, le dit clairement  : « pour nous c'est une question de classe, pas une question de race ». Même si ceux qui sont pauvres, ce sont les Noirs... En plus, ils sont relayés magnifiquement par le free jazz. Archie Shepp !

En ce qui concerne le rap, ça part bien : l'un des deux premiers grands tubes, The Message, est un truc très social. Contrairement à Rapper's Delight, qui est là pour amuser la galerie. Après, NWA, c'est important musicalement, mais ce sont en partie des crétins politiquement. J'ai traité à part Chuck D, parce que même s'il a dit des conneries, qu'il a été à la remorque de la Nation of Islam, il a été un grand acteur de cette pop politique au même titre que Springsteen et Bono et quelques autres.  

Bob Geldof ?
Oui. Je dis plutôt du bien de Geldof. Mais c'est un opérateur, lui. Pas un musicien. Boomtown Rats, bon... Eminem, c'est intéressant ! Rien à voir avec Chuck D, c'est un Blanc, c'est vraiment le white trash de Detroit — les Républicains pensent même à un moment pouvoir l'absorber. Musicalement, il finit mal, ça n'a plus aucun intérêt ce qu'il fait aujourd'hui. Mais politiquement, il est à la hauteur des enjeux, contre Bush... Ce sont les deux personnages intéressants du rap, Chuck D et Eminem, même si je dois parler encore d'un ou deux autres dans le livre, je ne sais plus lesquels.

Ah oui, 2Pac. J'en parle au début, j'ai hésité à faire plus long sur lui mais le bouquin de Pierre Evil sur le sujet, Gangsta-rap, est tellement bon... Ceux qui sont intéressés n'ont qu'à lire cet ouvrage. 2Pac est vraiment l'héritier des Black Panthers. Pas seulement par sa famille, sa mère notamment — comme il le dit, « je suis né en prison », ce n'est pas tout à fait vrai, mais il a failli. Il est un peu cinglé, mais il a des repères politiques extrêmement forts et tout à fait dans le sillage des Black Panthers, alors que l'époque n'est plus à ce mouvement. C'est l'un des mecs les plus haïs par la bourgeoisie blanche et les conservateurs. 2Pac est un grand nom de la musique politique. Musicalement, je ne suis pas un expert — je n'y connais pas grand-chose, les deux que j'adorais en rap, ce sont De La Soul et Arrested Development. Question de génération. Mais je voulais en parler, du rap.

En tant qu'ancien président de la Halle Tony-Garnier et toujours membre du conseil d'administration, comment avez-vous vécu cette période d'explosion des cachets des artistes et de prise de pouvoir des majors de type AEG et Live Nation dont on a parlé plus haut ?
Live Nation a finalement très peu de concerts sur la Halle. Les artistes signés chez eux ne passent plus à la Halle, ils passent à Paris et basta. Comme Jay Z et Beyoncé. Des artistes comme Neil Young, Paul Simon, Dylan ne sont plus passés à la Halle depuis longtemps non plus. Live Nation, c'est le fameux business à 360°, dont Bono aurait dû nous parler un peu plus... Tous y passent ou presque : on ne vend plus de disques, donc on fait des shows, qui sont de plus en plus coûteux pour certains, pas tous. Et de temps en temps, tu as des trucs à part comme Arcade Fire qui déboulent. Il en reste quelques-uns, pas beaucoup, la plupart sont "dans le moule". C'est le business. Comme pour les bouquins : combien il reste d'éditeurs indépendants ? Pas beaucoup. 

C'est une excellente présidente de la Halle Tony-Garnier

Comment voyez-vous l'évolution de cette salle, la Halle Tony-Garnier, que vous connaissez par cœur ?
Aucun problème ! Je connais Nathalie Perrin-Gilbert, qui m'a succédé à la présidence, depuis trente ans. J'en parle jamais, même si un jour elle a dit qu'elle écrivait mes discours... mais c'est une bonne adjointe ! C'est bien la seule dans cet exécutif. Ce qu'elle a fait sur le fond Covid, on aurait fait pareil. Et c'est une excellente présidente de la Halle Tony-Garnier. J'ai voté tous ses dossiers à la Ville. Je lui avait même dit que si jamais elle n'obtenait pas un peu de pognon de Doucet, je l'appuierais. Mais je n'ai pas fait de déclaration publique. La Halle a fait une bonne année en 2022, avec des comédies musicales, Disney on Ice et surtout du rap commercial.

Vous m'en aviez parlé il y a quelques années : vous envisagiez le fait que le rap commercial pourrait être une chance pour la Halle, afin de combler le vide des chanteurs de variété morts et des stars du rock ne venant plus...
C'est ça. Et en plus, je pense que le rap commercial sera toujours mieux à la Halle Tony-Garnier que dans la salle de Aulas à Décines. Car ça a un côté brut de décoffrage avec les poutrelles métalliques, tout ça.

Après, cette Arena de Jean-Michel Aulas, ça va être une belle salle, mais peut-être...  trop belle pour y aller en jean. Il y aura beaucoup de sport. Il y aura des conventions dans la salle annexe. Il piqueront un peu de clientèle à la Halle, mais pas tant que ça. Ils vont avoir le basket en Euroligue, avec pas mal de matches car c'est une ligue fermée. Ils auront du mal à gérer l'agenda musique et sport. Ils vont faire un tournoi de tennis, du volley, etc. Le lundi, les concerts sont difficiles. Il n'y a pas que des samedis dans la vie !

Live Nation, au début, était une société prête à les aider car ils contrôlent des centaines de salles dans le monde, sauf que la conjoncture économique fait qu'ils ont en partie retiré leurs billes. Ils ont un contrat sur les artistes, mais ne mettront pas d'argent dans la salle comme prévu.

Lennon, c'est Che Guevara à côté 

Revenons au livre : l'entrée "catastrophes" est intéressante. Vous écrivez : « une charité qu'il convient de médiatiser afin de la défiscaliser » !
Ce qui compte, c'est l'axe des caméras. On l'a vu dans de nombreuses opérations caritatives. Je mets Geldof de côté, mais tu prends Lady Gaga pour les victimes du tsunami, dans le genre on fait difficilement pire : elle va deux fois au Japon la même année, expliquer que les touristes doivent revenir car l'air est sain là-bas... Bref. C'est le fric qui compte.

La charité, ce sont les télévisions qui en sont le véritable opérateur ; avec Hollywood. Le rock est juste la bande son, mais compte pour du beurre. L'exception, c'est ce concert à New York pour les victimes des inondations, où pour la première fois de leur vie les Stones vont venir et payer de leur personne pour deux morceaux, ça ne leur était jamais arrivé. La Reine d'Angleterre avait même dit avant ça qu'on ne donnerait jamais à Jagger la breloque, parce qu'il n'avait jamais rien fait, contrairement à tous les autres comme le batteur de Genesis, que je déteste... 

Phil Collins ?
Vous savez ce qui était arrivé du temps de mon blog ? Non ? Un jour, je faisais partie de la commission de sécurité de Genesis au Stade de Gerland, quand ils sont venus pour la dernière fois, en 2007. Comme un con, pour faire le malin, j'écris sur mon blog : « probablement que je ne donnerais pas l'autorisation à Genesis de jouer à Lyon, car depuis que Peter Gabriel n'est plus là, on peut penser que ce groupe se conduit très mal et que de toute façon, il est proche du dérapage en permanence. » En substance. Un jour ou deux passent, et tous les fan clubs francophones se sont donnés le mot : putain, j'ai eu des milliers de messages d'insultes me traitant de tous les noms ! 

J'avais un copain qui était prof de philo dans mon bahut, quand il a vu que ça se calmait, il en a rajouté une couche : « vous ne l'entendez plus, mais il pense toujours la même chose »... Ça a été terrible ! Je m'associe totalement à ce que Noel Gallagher a dit : « je continue à voter travailliste, sinon Phil Collins va revenir de Suisse. » 

Geldof, c'est autre chose. Ce n'est pas par opportunisme. Quand il voit cette émission à la BBC avec des gamins qui meurent de faim, il est vraiment touché. Le problème, c'est que c'est un type qui n'a ni foi ni loi, en rien du tout. À l'époque, même pas dans le fric. Et il enregistre la plus grosse merde qui ait jamais été enregistrée... Quand tu écoutes les paroles, Lennon c'est Che Guevara à côté ! Et pourtant, ça a un rententissement énorme. Mon môme, fallait qu'on aille lui acheter des lentilles et des pâtes pour qu'il les porte à la maîtresse... Extraordinaire.

Je lui suis gré à Geldof d'avoir continué le combat ensuite. D'autres auraient arrêté. Bon, vous me direz, ça devient sa vie : il n'est plus chanteur, n'écrit plus... Les albums de Boomtown Rats n'ont aucun intérêt. Mais comme des tas d'autres. Il s'accroche, et il devient un vrai personnage politique. Vous comprenez ? Il donne son point de vue sur tout. Il allume Sarkozy. Je le trouve assez marrant, moi, Geldof. Il mène sa barque.

Ce qui reste innacceptable, c'est qu'il refuse d'accueillir les chanteurs qui ne sont pas dans le Top 10. Il écarte par exemple les Kinks parce que ça ne vend pas assez de disques. Et la seconde chose qui pose problème, c'est qu'il ne laisse aucune place à la musique noire. Aucune place à la musique africaine. Ça, c'est impardonnable ! Malgré cette tâche, c'est quelqu'un qui a un rôle, qui est un peu le Belafonte des années new wave.

Ce que j'adore et que les gens détestent, c'est son côté arrogant, invraisemblable parfois. Pendant la campagne du Brexit, il a fait un débat avec le mec de UKIP où ça chagne sérieusement, et il est à la hauteur. Maintenant, il est blindé — il le reconnaît, c'est un libéral. Il est de droite en vérité, même si tout le monde semble persuadé qu'il est de gauche. Peu importe. Je ne l'ai pas assassiné dans le livre : j'ai eu bien fait, non ?

La musique noire se hisse à la bonne hauteur

Est-ce qu'il n'y a pas une erreur fondamentale à considérer le rock comme une musique progressiste ? N'est-il pas plutôt réactionnaire ? 
Conservateur, plutôt. Le rock s'est attribué des qualités progressistes qu'il n'avait pas. À part des groupes comme Grateful Dead, qui reste progressiste, mais bon... C'est dans le marigot hippie de San Francisco. Honnêtement, à part la fumette, pas grand-chose ne les préocuppe. Les baby boomers, encore aujourd'hui et même si Garcia n'est plus là, en font toujours leur groupe de référence. Il y a des groupes comme ça. Et puis tu as beaucoup d'opportunistes. Mais le rock en tant que tel s'attribue des vertus qu'il n'a pas. Il n'est pas sur le qui-vive quand il se passe des trucs dans le monde. Sur le Vietnam, le bilan est plutôt léger. C'est la soul music qui est présente, pas le rock. Beaucoup de chansons soul parlent des GI's, etc. J'essaye de montrer ça. Le grand tube de la guerre au Vietnam, ce sont les Animals. Pas du tout Jagger avec Paint it Black. Ni Country Joe : ça, c'est la musique de ceux qui ne sont pas au Vietnam, justement. 

Woodstock, c'est la consécration du business, ce n'est pas autre chose. Une escroquerie. Et il y a quatre femmes et quasi pas un artiste noir dans la programmation : on va quand-même pas nous vendre ça comme un îlot de progressisme, c'est pas vrai ! Les deux seuls qui parlent de politique, ce sont Joan Baez et Country Joe. Hendrix qui massacre l'hymne américain, c'est formidable, on a tous été subjugués dans le film... mais bon. 

La musique noire se hisse à la bonne hauteur. Alors que c'est vraiment dur pour eux. Ils sont méprisés, ségrégués, le business à Los Angeles leur est totalement interdit, ils sont concentrés à Memphis dans le sud, démerdez-vous là-bas entre vous... Heureusement, des superstars émergent comme Otis Redding, Aretha Franklin, etc. Et là, il y a des tournants extrêmement intéressants : Marvin Gaye, par exemple. Ils ont tous participé du mouvement contre la ségrégation. 

Les rappeurs sont à la hauteur sur le soutien à Obama, pas seulement pour une histoire de couleur de peau, mais vraiment de politique. Et ça continue après. La trajectoire de la musique noire va dans le bon sens, avec des musiciens extraordinaires. 

L'Afrique est la grande absente : vous ne parlez que de Fela Kuti.
J'aurais voulu parler d'autres artistes... J'ai supprimé plus de 150 pages. J'ai une vingtaine de pages sur l'Afrique, je pense que ce n'est pas mauvais, sur les artistes populaires, les décolonisations. Ce n'est pas dit que je me remette pas au boulot.  

J'ai d'autres pages sur la Chine. Sur les illusions des Occidentaux sur le punk chinois aussi : il n'y a rien à en attendre, le rock est un truc marginal en Chine. C'est la Kpop qui domine tout. Et le rock, c'est interdit partout là-bas maintenant... Tout ça à cause de Björk, alors qu'il y avait beaucoup de tournées en Chine : même Dylan montrait ses set-lists. Jusqu'à ce que Björk viennent gueuler sur le Tibet... Si c'est pour gueuler, pas la peine d'aller en Chine.

Certains sujets qui ont pris de l'ampleur à notre époque, comme la cause animaliste avec Crass ou le genre sont aussi au menu...
Certains mériteraient d'être développés dans une autre perspective. Sur le genre, j'ai retiré des lignes où je tapais sur la presse de type Inrockuptibles. Quand à partir du moment où nous sommes dans le domaine du transgenre, c'est de la bonne musique, bon... ce n'est pas vrai. Les phénomènes de genre, s'il devait y avoir un tome 2, il faudrait faire quelque chose dessus car ce n'est pas un phénomène conjoncturel : c'est un phénomène de fond. Sur le féminisme, j'ai préféré appeler ça "femmes". 

Au Pairs, Raincoats...
Des tapées de première ! Elles sont formidables. Elles en ont, comme on dit. Elles se sont fait insulter... 

Vous avez des mots élogieux pour elles.  Comme pour L7 ?
Leur musique n'est pas exceptionnelle, une sorte de hard rock conventionnel. Mais être à l'initiative avec la journaliste de Los Angeles de ce combat pour l'avortement aux États-Unis : chapeau bas. Par ailleurs, la chanteuse, quand elle balance son Tampax sur les mecs du premier rang, on est dans le registre punk rock. J'apprécie beaucoup plus qu'une chanteuse que j'aime beaucoup, Patti Smith, mais qui sur le plan politique est une naze de première. Le nombre d'articles dans Libération sur Patti Smith, c'est hallucinant... Alors qu'elle ne le mérite pas. Avant, c'était formidable, maintenant, je l'ai vue à Fourvière, c'est fini.

Votre tambouille d'écriture : comment avez-vous travaillé pour ce livre ? Avec quelles méthodes, quelles archives ?
Je découpe. L'arme, c'est le ciseau. Je découpe sans vraiment classer au départ car ça demande trop de temps. Je mets dans des cartons, ensuite je réouvre et j'essaye de classer pour avoir quelque chose de cohérent par rapport à ce que je veux dire. Beaucoup de choses n'ont pas été gardées dans le livre, car c'est devenu mineur : par exemple, le nombre de déclarations d'artistes au sujet de Trump... C'est devenu mineur, sans intérêt. 

C'est le premier président rock

Vous revisitez certains moments d'Histoire où l'influence du rock est connue, en particulier à Prague avec Vaclav Havel en fan de Zappa, Plastic People of the Universe...
5000 mecs qui attendent Zappa à l'aéroport ! Il en revient pas le mec. Zappa est nommé par Vaclav Havel ambassadeur en matière de culture... Alors que James Baker, l'équivalent américain du ministre des Affaires étrangères de l'époque, arrive et fait remarquer à Havel, « écoutez si vous préférez Zappa, dites-le ! »

J'ai insisté auprès de l'éditeur pour garder le lennonisme, aussi : ce culte envers Lennon, surtout depuis qu'il est mort, c'est extraordinaire, quand-même ! Un critique a écrit : « nous sommes un peuple tellement falot, que nous avons besoin de héros de substitution ». Lennon est l'un de ces héros de substitution. Je trouve que ça a plus de sens de baptiser une passerelle "Lennon" à Prague plutôt qu'une rue à Liverpool : dans ce quartier, la révolte avait commencé avec des bombages à l'effigie de Lennon, avant d'être suivis de graffitis contre les bureaucrates rouges.

Mais Havel n'est pas un admirateur des Beatles. En plus, les albums qu'il aime de Zappa, ce sont les plus compliqués. Je pense qu'Havel, je ne l'ai pas écrit comme ça et j'ai eu tort, c'est le premier président rock. Dans un pays qui va souffrir de la bureaucratie soviétique et qui va s'en libérer avec la révolution de velours, le rock est présent : c'est extraordinaire ! Ça mérite d'être connu.

Parmi les critiques rock, qui vous inspire ? Vous partagez avec Nick Tosches une certaine liberté de ton.
Nick Tosches bien sûr, Jon Savage aussi j'aime bien même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui. J'aime bien ses pensées un peu labyrinthiques. Je prends du plaisir à les lire, Tosches un peu moins maintenant. Pierre Evil, son bouquin sur Detroit est vraiment formidable.

Je n'aimais pas Bayon : obsédé par The Cure et Bashung, je pense que c'est un type, bon... qui correspond bien à la radicalité superficielle de Libération. Dans Best, il y avait plein de journalistes qui pétaient pas plus haut que leur cul mais qui étaient vachement bon. Des mecs bien. Par contre, ce que je déteste, ça mériterait une offensive généralisée : Philippe Manœuvre qui parle de Machine Gun comme le grand combat contre la guerre du Vietnam... Faut arrêter ! Manœuvre n'a jamais été le grand progressiste qu'il aurait aimé être.

Greil Marcus ?
Greil Marcus, j'aime moins : je pense que c'est une immense connerie de dire que les Sex Pistols sont issus du situationnisme. Même ce qu'il écrit sur Dylan, ça me pompe un peu. Lester Bangs, j'aime bien ! Ah ouais ouais. C'est le roi de la mauvaise foi, c'est jouissif ! Je monterais bien un momument aux éditions Tristram pour avoir publié deux volumes de Bangs.

« Quand le rythme de la musique change, les murs de la ville tremblent », disait Tuli Kupferberg l'un des deux cofondateurs des Fugs. Est-ce que vous n'avez pas senti les murs de la ville trembler avant les dernières élections municipales à Lyon ?
Ah non non. 

Le rock français, absent de votre livre, n'a rien à dire  ?
Je pense que le rock français n'est absolument pas politique. Quand tu vois que le plus grand groupe, c'est Téléphone, avec un fils de sous-préfet qui chante des banalités... Ils n'ont bougé que pour la défense de leurs droits d'auteur. On m'a demandé pourquoi je ne parlais pas de la France dans le livre : ceux qui m'emmerdent, je leur dit : parce que vous auriez payé le bouquin 40 balles. Et puis le rock français connecté à la politique, ce n'est pas ce que vous croyez : c'est Bernard Lavilliers, quelqu'un d'important. Voire Léo Ferré, notamment quand il joue avec Zoo. Après c'est Orchestre Rouge et tout ça, il y a un bon bouquin chez Rivages écrit par Serge Loupien sur ce sujet, sur la France underground. C'est comme pour Pierre Evil : il est fait le bouquin, allez le lire. Les gens que j'adore en France, ce sont les Rita Mitsouko, c'est pas vraiment marxiste-léniniste ! J'aimais bien les Dogs aussi. Little Bob Story. Mais ça n'a rien à voir avec la politique. Ne tirons pas jusque-là. 

Cedi dit, les Fugs, c'est quand-même un cas. Personne n'écoute ça. Ils comptent très peu dans l'histoire musicale. Mais ils comptent vraiment côté politique. Comme les Deviants ! 

Mick Farren ?
Je le cite à la fin de l'introduction. C'était un décalque avec les White Panthers, il s'illusionnait. Mais il a un grand mérite : c'est lui qui s'oppose au basculement dans la lutte armée. Il a exactement le même rôle en Angleterre que Libération et Serge July en France. Contre la lutte armée. Chapeau. En plus, les Deviants, c'est un bon groupe de rock, un des meilleurs de son époque. 

Jean-Yves Sécheresse, Pop music - un abécédaire politique (Le Mot et le Reste)
En dédicaces la librairie Passages le mardi 14 février à 18h
En dédicaces au Bal des Ardents le mardi 21 février à 17h30

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