Théâtre / Quel rôle la société assigne à une mère fût-elle féministe et consciente des enjeux ? Pour son deuxième spectacle, Jeanne Garraud écrit sans faux-semblants, et pour quatre voix, une histoire autobiographique qui ne cesse de lorgner vers l'étrange.
En février, Jeanne Garraud laissait le soin à ses quatre comédiens (tous de très haut vol !) le soin de dire ce qu'elle avait écrit quelques mois après la naissance de sa fille, en l'absence d'un père accaparé par le travail. Ce qui n'aurait pu être qu'une énième variation sur la découverte de la charge d'une mère ou, pire, un règlement de compte n'est rien de tout cela. Car celle qui fut chanteuse et qui a fondé sa compagnie de théâtre en 2018 avec un délicat spectacle de transition entre deux métiers — On entend les oiseaux lorsqu'on les écoute —, a eu l'intelligence de replacer cette situation, somme totale banale, dans un contexte plus global.
Un soir Johanna reçoit avec son conjoint, pour la première depuis son accouchement, un autre couple : son propre frère et sa compagne qui est aussi la meilleure amie de cette jeune mère. Mais le tableau ne ressemble pas à un heureux faire-part. Accablée de fatigue, elle n'a plus de filtre pour dire les difficultés de ce nouveau rôle. Alors elle s'insurge que son emportement soit stigmatisé : « est-ce que j'ai le droit de craquer ? ».
Post-partum
Ce qu'interroge Jeanne Garraud n'est pas tant le comportement du père mais à quelle place la société française l'assigne — un congé paternité court (28 jours) et dans un milieu culturel qui valorise plus ceux qui donnent tout à leur travail qu'à leur fonction de parents, menant à une irrésolue et inéquitable prise en charge de l'enfant. Mais, insiste l'autrice via le personnage de la meilleure amie, ceci est surtout une affaire de genre.
Qu'elle soit mère ou non, la femme sait mieux s'occuper d'un enfant qu'un homme, paraît-il. Surtout si dès la naissance, il est permis au père d'être éloigné et il est imposé à la mère d'être omniprésente. CQFD. Et subitement Garraud fait de la parentalité le sujet de toutes et tous puisque, que l'on soit parent ou non, il s'agit de notre place dans le monde.
C'est en cela que Marguerite, l'enchantement dépasse de très loin le récit personnel. Et parce qu'il accepte de quitter la mièvrerie supposée pour une violence verbale assumée qui correspond à celle de corps en souffrance, ce texte flirte avec la virulence libératrice des Démons de Lars Noren. La mise en scène de cette pièce esquissée puis créée aux Clochards Célestes poursuivra son chemin à l'automne 2022 aux Célestins. Bonne nouvelle !
Marguerite, l'enchantement
Aux Clochards Célestes du jeudi 18 au lundi 22 novembre