Une semaine tout pile après le passage à l'heure d'été, la 19e édition de Quais du Polar (du 31 mars au 2 avril) regardera vers le sud en consacrant un généreux focus à l'Espagne. Sans négliger pour autant les autres délégations. Avant-goût d'un festival forcément caliente.
Qui a dit que le noir était la couleur du désespoir ? Certainement pas l'équipe organisatrice du festival consacré aux littératures policières Quais du Polar qui, au moment de dévoiler sa programmation 2023, a reçu confirmation de la bouche de l'adjointe à la Culture Nathalie Perrin-Gilbert d'un vote au prochain conseil municipal (le 9 mars), d'une augmentation de sa subvention municipale, actuellement de 160 000€. Manière de reconnaître très concrètement le travail accompli depuis presque deux décennies : rendre Lyon au-delà du visible, incontournable, sur la carte du genre littéraire le plus populaire qui soit, avec une manifestation à son image — 80 000 fidèles ont étanché leur soif à cette source noire l'an passé. Invité surprise de la présentation, DOA, auteur lyonnais (et chauvin autoproclamé), a abondé dans le sens de l'élue, vantant l'accueil comme la qualité d'un événement que — scoop — Anne Hidalgo aurait bien aimé photocopier à Paris. Raté pour elle.
Domaine étranger
Cette 19e édition suscitera sans doute la jalousie de la native de Cadix, puisqu'elle consacre une large part de sa programmation au Polar espagnol. On y retrouvera notamment avec plaisir Víctor del Árbol (Prix du Polar européen en 2012 avec La Tristesse du samouraï) mais aussi Javier Cercas, Alicia Giménez-Bartlett, Carmen Mola ou Javier Castillo. Bernard Minier se glissera dans le groupe en voisin (son récent Lucia se déroule entièrement au-delà des Pyrénées) aux côtés d'Olivier Truc qui, lui, a partagé la rédaction d'un roman avec Rosa Montero dans le cadre du projet “Polar à quatre mains“, L'Inconnue du port. L'hispanophone Guillermo Arriaga sera — enfin — également de la fête : rappelons que le scénariste mexicain d'Iñarritu avait vu sa venue contrariée il y a peu pour cause de Covid. On ressent encore d'ailleurs les effets de la crise sanitaire dans le nombre de pays de représentés. Certes, on compte quelques visiteurs d'Outre-Atlantique (la reine Elizabeth George de retour, Wiliam Boyle, Jake Adelstein...) ou d'Outre-Pacifique (le seul mangaka Takashi Morita comme ambassadeur du Japon). Et que dire de la liste des auteurs venus du froid, qui a fondu comme la calotte polaire : David Lagercrantz (une pointure, on est d'accord, depuis sa reprise de la trilogie Millennium) représente la Suède à lui seul ; idem pour Aslak Nope et la Norvège ; itou pour Eva Björg Ægisdóttir et l'Islande. L'Angleterre sauve les meubles, si l'on ose en ces temps de Brexit, avec entre autres R.J. Ellory, Julia Chapman et Nick “Harkaway“ Cornwell... Lui ne vient pas pour sa propre production, mais pour un hommage à son défunt paternel, John Le Carré (1931-2020).
Profusion : reporters
Côté français, la délégation est abondante dans tous les domaines : jeunesse (Malika Ferdjoukh, qui donnera d'ailleurs lecture de la dictée quand Fabrice Drouelle susurrera celle pour les adultes), BD (Joann Sfar, Gaët's, Cati Baur...), des valeurs sûres fidèles au poste (Franck Thilliez, Michel Bussi, DOA, Marin Ledun, Dan Franck, Sonja Delzongle, Henri Lœvenbruck, Colin Niel, Oliver Norek, Mo Malø, Benoît Séverac...) ou d'autres plus rares comme Christian Jacq ; et puis, pas mal d'auteurs à la lisière du journalisme et du polar. C'est d'ailleurs l'objet d'un autre axe majeur de cette année, relayé par le nouveau Prix Polar et Justice décerné à une œuvre littéraire de non-fiction en lien avec la justice ou les faits-divers : on sait le goût du public pour les “histoires vraies” ; autant qu'elles soient correctement documentées. Cette section verra défiler Élise Costa, les ex-Lyonnaises Alice Géraud et Sophie Hénaff ou Pauline Guéna — laquelle viendra présenter avec Dominik Moll le long métrage qu'il a tiré d'un de ses ouvrages, le récent Prix Jacques-Deray et César du meilleur film, La Nuit du 12.
Car Quais du Polar est encore et toujours un rendez-vous hautement cinématographique avec une profusion de reprises de classiques au Pathé Bellecour, au Comœdia et à l'Institut Lumière. C'est l'occasion de revoir en grand et en beau La Mort aux trousses, Talons aiguilles, Le Voyeur, Millennium (de Fincher), C'est arrivé près de chez vous, L'Horloger de Saint-Paul, Amours chiennes figurent parmi le menu, à picorer avec une poignée de séries (Tokyo Vice, Babylon Berlin). Si ces séances comptent parmi les très rares propositions payantes, elles font ressortir par contraste la quantité de rencontres, tables-rondes, visites ou promenades ludiques (telle que la célébrissime grande énigme) gratuites — autant garder ses sous pour les libraires investissant le Palais de la Bourse.
Partenaires particuliers
Étrange pouvoir que celui de Quais du Polar qui a su imposer à l'univers littéraire de créer un “mois du polar“ en avril. Qui multiplie les opérations de médiation culturelle à l'année (dans les écoles, hôpitaux, prisons), à l'étranger, de mise en lien entre les professionnels de l'audiovisuel et de l'écrit (avec le rendez-vous B2B Polar Connection), en reposant sur une structure associative réduite et un budget de l'ordre du million d'euros. Qui s'agrège des partenaires de prestige dans le gotha de la culture et d'autres, parfois insolites, dans celui des institutions policière ou judiciaire (Conseil départemental de l'accès au droit du Rhône, Tribunal judiciaire de Lyon et même pour son centenaire, Interpol)... Quais du Polar tient sa barque mais n'est pas imperméable aux remous qui agitent le monde de l'édition française, actuellement tourneboulé par la percée de l'empire Bolloré. Lequel contribue aussi de manière indirecte au festival en via des “entités“ de sa filiale Lagardère : en accolant le nom du Journal du dimanche au Prix des Lecteurs (jadis parrainé par 20 Minutes), en finançant par la Fondation Hachette pour la lecture une série d'initiatives favorisant une meilleure accessibilité aux personnes porteuses de handicaps. Certes, on est ici encore (pour le moment) loin des problématiques des auteurs quittant leurs éditeurs passés sous la coupe du géant breton : Virginie Grimaldi, Jacques Attali, Fabrice Lhomme, Victor Castanet, Barbara Cassin, Erik Orsenna... Mais comme on le lit dans les bons feuilletons policiers : à suivre...
Quais du Polar, du 31 mars au 2 avril à Lyon