Daaaaaalí ! ou le modèle ultime d'un personnage de Dupieux

Daaaaaali !
De Quentin Dupieux avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Edouard Baer

sortie nationale : Mercredi 7 février 2024

Comédie / Autour d'un entretien impossible avec Salvador Dalí, un labyrinthe surréaliste hilarant et fascinant dans lequel on rêve de se perdre à l'infini. Du pur Quentin Dupieux. Mais c'est quoi du pur Quentin Dupieux ? Tentative de réponse en trois temps. En salles le 7 février.

En premier, du surréalisme

Que Dupieux ait eu envie de se frotter au pape du surréalisme pictural n'étonnera personne. Son cinéma est surréaliste depuis ses premières images, et cela n'a fait que croître ces dernières années — le commissariat qui devient une scène de théâtre dans Au Poste ! ou la plaie au creux de la main d'où sortent des fourmis dans Incroyable mais vrai. Mais le surréalisme chez lui n'est pas une fontaine jaillissant d'un inconscient débridé ; plutôt une manière de rappeler au spectateur l'illusion sur laquelle se fabrique le cinéma, convention qu'un cinéaste trop ordinaire prend soin de rendre invisible et que Dupieux s'amuse à démasquer puis à détourner.

Le gag initial de Daaaaaalí !, où le peintre avance sans fin dans un couloir d'hôtel en retournant à son point de départ après chaque coupe de montage, en est un bon résumé : le temps et l'espace dans un film ne sont que des décisions arbitraires de l'auteur, fabriquées avec la grammaire du cinéma. Même la réalité n'est plus une réalité : ce peut être un rêve dans un rêve, ou un film déjà fini alors qu'on est en train de le raconter. L'image préexiste ainsi à sa représentation comme dans la scène, tordante, où Dalí met en scène le réel de manière surréaliste pour mieux pouvoir le peindre.

En second, des vanités

Autant que le peintre surréaliste, Daaaaaalí ! est le portrait éternellement recommencé de l'homme Dalí vu comme le modèle ultime d'un personnage de Dupieux : égocentrique, capricieux, obsédé par son image et surtout dans la satisfaction immédiate de ses désirs. Un nouveau Yannick, dont le temps de loisir était compté et qui, s'estimant lésé par le médiocre divertissement qu'on lui dispensait, se proposait de l'écrire lui-même.

Dupieux est fasciné par ces êtres profondément vaniteux, que ce soit le producteur dans Réalité, l'apprenti-cinéaste du Daim ou les super-héros de Fumer fait tousser. Or, la vanité en peinture, c'est la représentation d'un crâne d'homme ou d'animal.

On voit deux vanités dans Daaaaaalí ! : l'une accrochée à la tête d'un âne, l'autre marinant dans un ragoût grouillant d'asticots. En cela, Dupieux met des images sur les maux de notre époque, en particulier sa peur paralysante de la décrépitude et de la mort. Dans le film, Dalí s'observe en vieillard, ce qu'il décrit comme une vision « mystique », mais Dupieux finit par renverser le point de vue : le vieux Dalí se regarde jeune et ne voit qu'un cabotin surjouant son personnage de démiurge orgueilleux. Vanité de la vanité...

Finalement, les acteurs

« Un acteur, ça n'existe pas ! » lance comme une provocation Dalí à la journaliste venue l'interviewer. Dupieux pense exactement le contraire. Et ses films, depuis son retour en France, sont d'abord une fête du jeu, un costume sur mesure pour des castings démesurés. Ici, il faut six Dalí pour incarner en alternance le peintre. Ce qui frappe, c'est que chacun propose son Dalí, sans souci d'unité ou de cohérence.

On pourra dire qu'Édouard Baer et Jonathan Cohen surclassent en flamboyance un Gilles Lellouche engoncé et un Pio Marmaï fébrile ; mais ces deux derniers, par leur incapacité à se hisser à la hauteur d'excentricité tenue par Dalí, racontent aussi la passion de l'acteur qui anime Dupieux, son envie de mettre toutes les couleurs de jeu à l'écran, tous les corps et toutes les voix.

Ce n'est pas pour rien qu'Anaïs Demoustier, ici dans le rôle de l'intervieweuse, est l'actrice idéale de son cinéma : l'ordinaire fille d'à-côté de chez Guédiguian, Pariser ou Ozon se transforme, à la faveur d'une intonation ou d'une simple perruque — différente à chaque film. Une extraordinaire actrice de composition capable de passer de chaque côté de l'écran sans s'en émouvoir ; un spectacle surréaliste à elle toute seule.

Daaaaaalí !
De Quentin Dupieux (Fr, 1h18) avec Anaïs Demoustier, Édouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche, Pio Marmaï...
Sortie le 7 février

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 12 décembre 2023 Un professeur d’université pleutre, chauve et bedonnant se met à apparaître sans raison dans les rêves des gens, sans interaction particulière avec le rêveur — du (...)
Jeudi 20 juin 2024 Plus ouverte que sa précédente, la dernière réalisation de Jean-Christophe Meurisse revisite l’affaire Dupont de Ligonnès entre absurde et décalage, hilarité et malaise. Une comédie drôle et inspirée qui n’oublie jamais de questionner la France...
Vendredi 31 mai 2024 Edouard Baer ne se produira pas aux Nuits de Fourvière. L'annulation intervient suite à des accusations d'agressions sexuelles par six femmes, parues dans une enquête collaborative de Mediapart et Cheeks.
Mardi 9 janvier 2024 Quelques mois à peine après Le Procès Goldman, Cédric Kahn réussit une passe de deux surprenante avec cette farce sophistiquée, acide et enlevée sur le monde du cinéma.
Mercredi 2 août 2023 Divine surprise du cœur de l’été, le nouveau Dupieux vient chambouler le cinéma, le théâtre et surtout les consciences hypocrites. Diablement intelligent au point de faire oublier le concept sur lequel il repose, Yannick est une sorte de Théorème...
Mardi 20 décembre 2022 Lui-même ancien cavalier, le réalisateur Christian Duguay remonte en selle pour Tempête dans lequel une jeune fille née dans un haras en même temps qu’un cheval voit son rêve d’écuyère brisé par un accident la clouant dans un fauteuil. Au-delà du...
Mercredi 17 novembre 2021 Mûrie de longues années par Audrey Diwan, cette adaptation d’Annie Ernaux saisit l’ascèse et la précision de l’autrice, pour la transmuter en portrait dépourvu de pathos d’une éclaireuse engagée malgré elle dans une lutte à la fois intime et...
Samedi 17 août 2019 Lassé par ses années d’échec au théâtre, Franck se fait recruter comme gardien vacataire dans un musée. Sa présence suscite l’hostilité de Sibylle, une consœur rigide, mais complète le staff et permet au conservateur de lancer un inventaire des...
Mardi 18 juin 2019 Revenant de quelques infortunes artistiques, Jean Dujardin se prend une belle veste (au sens propre) taillée sur mesure par Quentin Dupieux en campant un monomaniaque du cuir suédé. Un conte étrange et intriguant totalement à sa place à la Quinzaine...
Mardi 27 novembre 2018 Le parcours d’un pompier parisien, de l’adrénaline de l’action à la douleur du renoncement après l’accident. Une histoire de phénix, né à nouveau par le feu qui faillit le consumer, marquant (déjà) la reconstruction d’un cinéaste parti de guingois...
Mardi 30 octobre 2018 Pour compenser ses années de taule, un innocent commet des délits. Sans savoir qu’il est “couvert“ par une policière, veuve de celui qui l’avait incarcéré à tort, elle-même ignorant qu’un collègue amoureux la protège… Encore un adroit jeu...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X