Ciné-concert / Promenez-vous autour de la gare de Perrache (en vous rendant au Marché Gare, par exemple), et vous verrez sous certains ponts des tentes de fortunes où s'abritent les exclus de la société libérale et productiviste. Achetez votre quotidien national le matin, et lisez-y le récit de la dernière intervention policière pour démonter un camp de gens du voyage installés au cœur d'une grande ville française. Allumez votre télévision, et regardez le dernier divertissement de Marc-Olivier Fogiel vous expliquant avec son sourire Colgate fresh que la réussite tient au nombre d'entrées et que l'échec se mesure à vos maigres revenus. Ensuite, allez voir le ciné-concert de Robert Le Magnifique autour du film de John Carpenter They Live (dont le titre français, Invasion Los Angeles, est une honte !). Vous y verrez un ouvrier du bâtiment débarquer à Los Angeles avec ses outils sous le bras (musclé), se faire jeter un peu de partout parce que «c'est la crise», trouver refuge dans un bidonville posé au pied des buildings, avant d'assister, impuissant, à son démantèlement par un assaut particulièrement violent des forces de sécurité. Ce serait déjà troublant, mais Carpenter, alors (1988) très en colère contre le pouvoir reagano-bushien (le padre, moins crétin mais tout aussi nocif que son fiston), monte d'un cran dans la charge en désignant cadres, banquiers et médias de masse comme responsables du désastre. Pour cela, il en passe par une métaphore transparente : les soldats du libéralisme sont en fait des aliens venus coloniser la terre et asservir le peuple à coups de messages subliminaux dissimulés derrière les panneaux publicitaires et les signaux télés. Virulent mais fun, irresponsable (le salut par les flingues, comme dans un bon vieux western) mais cathartique, They live n'a jamais été aussi actuel pour nous, Français. Que Robert Le Magnifique, qu'on a connu pour ses exploits électro-hip-hop solo puis pour son association pertinente avec David Gauchard et sa compagnie L'Unijambiste, l'ait choisi pour en faire une nouvelle lecture musicale (en trio guitare, basse, batterie) est autant une décision esthétique que politique.
Christophe Chabert
article publi-rédactionnels