Metteur en scène allemand de génie, Thomas Ostermeier monte pour la cinquième fois une pièce du norvégien Ibsen, "Un ennemi du peuple". Décryptage de cette filiation entre deux géants avant que Ostermeier lui-même ne vienne à la rencontre du public lyonnais au Goethe Institut. Nadja Pobel
Depuis 2002, Thomas Ostermeier a monté cinq pièces d'Henrik Ibsen. S'il a commencé par ses classiques et brillantissimes pamphlets féminins et féministes (Une maison de poupée, qu'il a rebaptisé du nom de l'héroïne Nora, puis Hedda Gabler), il a poursuivi avec des textes empreints de politique : Solness le constructeur (monté entre les deux précédents), John Gabriel Borkman, Un ennemi du peuple aujourd'hui, et en mars Les Revenants créé (en français !) à Vidy-Lausanne. Dans l'intervalle, Ostermeier a fricoté avec d'autres et notamment Shakespeare (avec le foudroyant et déchaîné Mesure pour mesure). Mais inlassablement, Ostermeier revient à l'auteur norvégien qui, entre 1867 et 1899, signa une quinzaine d'oeuvres qui ont secoué la froide Scandinavie. Il ne suffit toutefois pas de jouer Ibsen pour s'apercevoir qu'il est infiniment contemporain. Encore faut-il malaxer son écriture, la raboter parfois, la modifier à l'occasion, à tout le moins lui porter un regard actuel pour ne pas la momifier dans le XIXe déclinant.
Et dans 150 ans
Ostermeier avait changé la fin d'Hedda Gabler. Pour Un ennemi du peuple, il a tenté le jeu de la réécriture avec Florian Borchmeyer avant de reculer. Il s'est finalement autorisé à rajouter des nouveaux textes ou à retravailler des expressions qui auraient pu paraître désuètes aujourd'hui, confiait-il à Avignon, où la pièce fut créée cet été : «Nous avons en quelque sorte dépoussiéré le langage d'Ibsen en le rendant plus brut sans pour autant le simplifier». Car l'intérêt de cette pièce est précisément la complexité des questions qu'elle pose : au nom de la démocratie ne produit-on que du bien ? Une minorité n'a-t-elle pas raison contre la majorité ? Le Docteur Stockmann découvre que les eaux des thermes de sa ville, dont son frère est maire, sont polluées ; faut-il divulguer la vérité au risque de contrevenir à la prospérité de la commune ? Les concitoyens – le public – sont pris à parti, Ostermeier, évitant, comme Ibsen, de verser dans la radicalité. Plus moderne que jamais, avec une troupe d'acteurs exceptionnels et un Jan Pappelbaum au sommet de son art de scénographe, Ostermeier signe un nouveau chef d'œuvre. Si par malheur, le TNP était archi complet, ne manquez pas la rencontre au Goethe Institut le 30 janvier à 16h. Un événement.
Un ennemi du peuple
au TNP du mardi 29 janvier au samedi 2 février
Rencontre avec Thomas Ostermeier au Goethe Institut mercredi 30 janvier à 16h