Le Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne propose simultanément cinq nouvelles expositions, toutes passionnantes. La plus troublante d'entre elles, "Intrigantes incertitudes", est consacrée à l'inquiétante étrangeté du dessin contemporain.
Chez les grands artistes classiques, le dessin servait surtout d'esquisse, d'étape intermédiaire de travail... À posteriori, nous sommes déjà touchés par la fragilité des traits et des figures, par le désir naissant et hésitant de l'œuvre à venir. Cette fragilité propre au dessin, les artistes contemporains s'en saisissent souvent pour représenter une incertitude non plus de forme, mais de fond.
L'incertitude du médium rejoint l'incertitude même des choses, leur inquiétante étrangeté, notre difficulté à les appréhender de manière claire et distincte. « Même si le dessin est mimétique, comme on dit, écrivait Jacques Derrida, reproductif, figuratif, représentatif, même si le modèle est présentement en face de l'artiste, il faut que le trait procède dans la nuit. Il échappe au champ de la vue. »
Lorand Hegyi, directeur du MAMC, a rassemblé une quarantaine d'artistes internationaux pour son exposition consacrée au dessin : « Intrigantes Incertitudes, écrit le commissaire, explore la question du doute et de l'incertain. Le visiteur est invité à parcourir les "royaumes intérieurs" des artistes, peuplés de questions, de fantômes et de rêves, en empruntant le chemin le plus intime et le plus spontané des moyens d'expression artistique : le dessin. »
Dessins intranquilles
L'accrochage de l'exposition s'ouvre à nous, à travers plusieurs salles, comme autant de pages d'un grand Livre de l'intranquillité (titre du maître ouvrage du poète Pessoa) à tourner et à parcourir. Quelques thématiques structurent, en sourdine, l'exposition : le paysage fantastique, l'architecture imaginaire, les métamorphoses du corps, les troubles de l'identité et de la représentation du visage. On y retrouve certains grands noms de l'histoire de l'art récent : Erik Dietman, Jim Dine, Jan Fabre, Dennis Oppenheim, Kiki Smith ou encore les Actionnistes viennois Günter Brus et Hermann Nitsch...
Mais les plus belles découvertes proviennent d'artistes moins connus comme le danois Peter Martensensen et ses personnages un peu vieillots qui semblent autant de doubles les uns des autres. La jeune parisienne Maud Maris qui revisite le thème de la ruine en estompant ses volumes et en transférant, avec douceur, la stabilité des choses minérales vers une instabilité proprement ontologique. La bulgare Oda Jaune qui, dans un univers post-Bacon, fait fondre les chairs et les organes pour inventer de nouveaux corps stupéfiants...
Chez tous ces artistes, le doute est à la hauteur de leur capacité d'invention libre de formes, de rapports au monde, d'identités insoupçonnées. JED
Intrigantes incertitudes
Au Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne jusqu'au 5 juin 2016