Festival 6e Continent / Rockeur adepte des sons électroniques dès la première heure, moderniste enregistrant des albums consacrés au répertoire chaabi ou raï, bringueur parfois limite ou phénomène de scène dingue d'Elvis, chroniqueur avisé de notre époque, Rachid Taha est un caméléon, une utopie et un manifeste à lui tout seul.
Au début des années 80, quand vous avez commencé avec Carte de Séjour, vous écoutiez les Talking Heads, produits par Brian Eno, ou The Clash. Aujourd'hui, ce même Brian Eno, ou Mick Jones, vous appellent pour travailler avec vous : comment le ressentez-vous ?
Je le ressens d'une manière tout à fait normale, sans être prétentieux, mais quand j'ai commencé à Lyon avec Carte de Séjour, j'étais sûr que j'allais les rencontrer, que je travaillerais avec eux un jour ou l'autre. C'est arrivé. Et l'histoire continue : j'avais très envie de bosser avec Damon Albarn. Et nous allons tourner ensemble au mois de juillet. Tous ces gens avec qui je rêvais de travailler, je les ai eu : c'est super.
Brian Eno, comment s'est passé la rencontre ?
Il m'a appelé. Il travaillait justement avec Damon Albarn et il voulait faire une voix avec moi, pour un album à l'occasion des Jeux Olympiques en Grèce, en 2004. Moi j'étais fan et ça faisait longtemps que je voulais le rencontrer. Comme avec Robert Plant, aussi.
Vous avez d'ailleurs travaillé sur votre dernier album, Zoom, avec Justin Adams, lui-même collaborateur de Robert Plant.
Voilà ! La belle histoire continue.
En parlant de Damon Albarn, vous vouliez vous inspirer de son projet Africa Express pour travailler autour du raï ?
Oui, ça va s'appeler Transe Raï Express. Je suis en train de réunir les musiciens, ce sera vraiment transe ET raï. Je vais trouver des petits jeunes de la nouvelle génération du raï, parce que la nôtre, certains sont has-been, d'autres ne se sont pas renouvelés, voyez. Donc il y aura des petits nouveaux que je cherche en Algérie, à Marseille...
Qu'est-ce qui s'est passé avec le raï au tournant des années 90 pour qu'il disparaisse ainsi ?
Le drame, c'est qu'il s'est tué par lui-même : il s'est suicidé. Il ne s'est pas renouvelé, il n'y a plus que des imitateurs. Actuellement, vous n'avez que des imitateurs de Khaled ou de Rachid... On ne peut pas faire une carrière ou créer un buzz avec des imitations.
Dans cette jeune scène, est-ce que Sofiane Saidi vous interpelle ?
Sofiane Saidi bien sûr, et aussi Mohamed Lamouri que j'ai trouvé dans le métro, qui fait du raï-rock à la Alan Vega, avec juste un petit clavier qui mesure 50 cm. Il joue sur la ligne 2 à Paris avec, et c'est génial.
À Lyon, étiez-vous en contact avec la vivace scène maghrébine autour de la place du Pont, comme Omar El Maghrebi, Amar Staifi ?
Non, moi j'étais rock'n'roll. J'étais Killdozer avec Robert Lapassade, Marie & les Garçons, Electric Callas, ce sont ces groupes-là moi ! Ganafoul, Factory... Je ne suis alors pas du tout raï, je suis punk et rock. Aucun lien avec cette scène-là.
Carte de Séjour s'est séparé à Berlin, le jour de la chute du Mur ?
En 1989. Je me rappelle, on était à Kreuzberg, on était là, on devait jouer... Et voilà !
Votre avis sur Acid Arab et toute cette scène électro-Arabe, dont vous êtes précurseur dès 1993 et votre album Olé Olé ?
Acid Arab, je bosse avec. Et c'est mon clavier, Kenzi Bourras, qui joue avec eux ! On pourrait appeler ça le canal Rachidien. Mais je travaille aussi actuellement avec Goran Bregovic comme avec Destroy Man.
Vous qui avez toujours eu un regard acéré sur la politique française vis à vis de l'immigration, vous devez être désabusé, aujourd'hui ?
Sincèrement, on vous a prévenu. Vous n'avez qu'à lire nos premières interviews dans les années 80 dans Actuel, dans Libération : je disais ce qui allait se passer. Je leur disais aux politiques, vous êtes en train de préparer une génération... Alors que nous, on voulait une société républicaine et laïque. Les politiques ont pris un autre chemin, des gens comme SOS Racisme font partie de cette erreur industrielle. On a encore beaucoup du boulot.
Et Harlem Désir qui...
Oh... me parle pas de ces gens-là.
Vous dites que les conseillers d'orientation ont la responsabilité ce qui se passe aujourd'hui.
Exactement. Sous prétexte que l'on était issu de la classe ouvrière, ils n'ont jamais voulu que l'on prenne un autre chemin. Ils ne nous ont jamais orienté vers des métiers d'avocat ou dans la culture, dans la danse, dans la musique. Il a fallu que l'on se fasse nous-mêmes. Quand vous allez en Suède, que l'on parle de Zlatan, on dit que c'est grâce à l'immigration. En France, l'immigration ce sont aussi des mecs comme Zidane, comme Benzema. Quand on est bon, on est français. Quand on fait une connerie de gamin comme Benzema, on ne le sélectionne pas, on est un immigré. Ce sont des grosses erreurs que fait la société française.