Thierry Renard, le laboureur de poèmes

Thierry Renard, le laboureur de poèmes
Thierry Renard

Le Bal des Ardents

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / Poète, organisateur de festival, infatigable transmetteur des mots, Thierry Renard est aussi attachant qu'il est attaché à sa ville de Vénissieux. Litote.

À quoi ça ressemble une conviction ? Et la fidélité dis, ça veut dire quoi dans ce XXIe siècle bordelisé au dernier degré ? Sans s'aventurer sur les chemins tortueux, forcément alinéaires de la vie privée, Thierry Renard est une incarnation de ces deux questions préliminaires. Oui, il est possible d'avoir des idéaux sociétaux, de ne pas les laisser sur le bord de la route et même d'y trouver une sorte d'équilibre à la fois précaire et solide comme un roc. À 53 ans, ce jeune homme trois fois père, une fois grand-père, est toujours arrimé à Vénissieux et aux mots.

Né dans le 8e (« parce que la maternité était là »), élevé aux Minguettes par les grands-parents maternels jusqu'au collège, puis par ses parents ; une mère, employée chez Brossette à Gerland et un père salarié de Rhône-Poulenc à Saint-Fons. De son père, « militant syndical et politique à la CGT et au PC, qui aimait les récits historiques sur la Révolution, la Commune... et San Antonio », il reçoit des livres. C'est en cela qu'il estime avoir été un gosse « privilégié » du quartier.

Le fils unique trouve en sa tribu de cousins et cousines des frères comme Patrick Vighetti, passionné de philo. Ils ont 10-12 ans et montent une revue, dix pages tapées à la machine, photocopiées et vendues un petit franc dans leur entourage, où ils commentent l'actualité ; Thierry y signe ses premiers poèmes « inspirés par Prévert. » Le gamin aime causer : il file suivre les cours de théâtre de Jeannine Berdin, est casté par hasard dès sa troisième séance par Gilles Chavassieux qui cherche un couple d'ado. C'est pour Les Amants puérils de Fernand Crommelynk, pendant trois semaines aux Ateliers et comme les adultes, il traîne au resto après les représentations, jusqu'à ce qu'on le raccompagne à minuit en voiture dans sa banlieue.

Il redouble sa 5e, mais grandit vite. L'année suivante, une prof de français initie ses élèves à la poésie : « là j'ai voulu devenir Rimbaud » se rappelle-t-il dans un de ces grands éclats de rire qui le caractérisent ! C'est précisément cela qu'il dira à Charles Juliet, rencontré lors d'une soirée littéraire à la bibliothèque de la Part-Dieu. Il a 14 ans et une amitié filiale sans faille naît avec celui qui n'est pas encore auréolé du succès public de L'Année de l'éveil. Pour l'heure, Juliet lui envoie le premier tome de son Journal par la poste. Un cadeau pour ce môme qui comprend qu'on peut être écrivain ET vivant, lui l'adorateur de Camus et Pasolini.

Lettres à un ami vénissian

La fidélité, c'est quoi ? C'est la transmission que Juliet élabore en lui donnant rendez-vous une fois par mois au café Bellecour ou au café Français pour lui parler de livres et d'auteurs, notamment italiens, pour le plonger dans les racines de sa mère immigrée piémontaise. Animateur d'un club théâtre à la MJC de Vénissieux et auteur d'une pièce à 15 ans, premier recueil (« une plaquette ») publiée à 16 (que sa mère achètera en 150 exemplaires pour la distribuer à toute la famille!), il décroche à 22 ans sa première subvention de la DRAC pour la revue Aube.

Entre-temps, le jeune homme a été envoyé comme comédien pour Znorko en Grèce, en Pologne, en Russie : « j'ai toujours fait des allers-retours Vénissieux / le reste du monde. » Partir pour mieux revenir. Ou mieux s'ancrer pour bourlinguer. Établir un lien entre Vénissieux et le monde. Avec des copains, Sylviane Crouzet, Olivier Fischer et son cousin, soutenus par Juliet et dans la foulée par les librairies des Nouveautés et La Proue, ils font vivre cette revue. Pour ne pas devenir « la revue des poètes qui parlent aux poètes », ils optent pour la transversalité, publient de la prose, s'organisent avec un numéro sur deux dédié à un pays, un autre à une voix contemporaine (Bobin, Chédid, Siméon...). Ils lancent même un hors-série, Parole d'Aube dont le long entretien consacré à André Comte-Sponville (vendu à 110 000 exemplaires, 45 fois plus qu'à l'habitude) les mènent sur le plateau télé de Pivot.

En pleines années hip-hop (les 90's), Thierry Renard incarne l'une des seules aventures littéraires en banlieue. Presque happé par Paris, il reste ici. « On avait deux structures : la SARL Parole d'aube et l'association Pandora. » Cette dernière est l'alpha et l'omega du travail de terrain. Infatigable, Thierry Renard anime des ateliers d'écriture et n'a jamais cessé d'intervenir dans son collège d'enfance, à Jules Michelet. Dans la maison d'édition La Passe du Vent (un nom trouvé par Dany Laferrière) reprise en 1998, il publie prose, poèmes contemporains et des livres sur la politique culturelle : « c'est très important, l'action culturelle est ma manière de faire de la politique » dit celui qui en fait plus que certains élus.

C'est pour ces actions-là qu'en 2003 il est fait Chevalier des Arts et Lettres (une distinction qu'il tient à recevoir à la mairie de Vénissieux) et Officier en 2013. Du toc ? Lui y voit plutôt une reconnaissance pour une action littéraire (« pourquoi seuls les sportifs recevraient des médailles ? ») Et d'insister pour dire que c'est une récompense collective, « longtemps dans mon bureau a été affiché cette phrase de Brecht : élargir le cercle des initiés. » Tout ceci, additionné aux multiples festivals qu'il pilote (Parole ambulante et la déclinaison en région du Printemps des poètes), repose sur un socle indestructible : l'écriture à laquelle il s'attelle chaque jour (ou nuit), ses « gammes » diffusées quasi quotidiennement sur Facebook, « qui a transformé mon rapport à l'écriture, car tout est lu rapidement et chacun peut répondre. » La version finalisée est imprimée dans plus d'une vingtaine d'ouvrages, et dans le premier tome (sur trois) de son anthologie qui vient de paraître.

Adulte ? Jamais

Une conviction, c'est quoi ? Celle de ce gamin épicurien, curieux et fondamentalement généreux, construit sur le paradoxe d'être le rigolo dans les milieux intellectuels et l'intello dans les milieux popu, est d'être convaincu que les mots sont une arme. Le mot République lui file encore les larmes aux yeux d'autant plus que « l'ascenseur est bloqué contrairement à mon époque et que la religion est devenu LE sujet alors que jamais on ne l'évoquait il y a trente ans. » C'est aussi croire aux livres, et leur consacrer une journée (le 1er octobre) à Vénissieux, où désormais la seule librairie se trouve dans une grande surface...

Thierry Renard
Rencontre autour de son anthologie de poésie
Au Bal des Ardents le jeudi 22 septembre à 19h

Le Jour du livre
À Vénissieux le samedi 1er octobre

Festival Paroles ambulantes
À l'Espace Pandora du 1er au 8 octobre

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