Photographie / Avec son livre Un œil sur la musique, le photographe Richard Bellia retrace 35 ans d'une carrière aux côtés des plus grands (The Cure, Nirvana, Joe Strummer). Avant la présentation de son ouvrage à Lyon, il est revenu sur sa vie derrière l'objectif.
Quand vous étiez jeune, vous étiez passionné de musique et de photographie. C'est pour ça que vous avez choisi ce métier, pour allier vos deux passions ? Ou bien vous n'y avez jamais réfléchi et ça s'est fait naturellement ?
Richard Bellia : C'est exactement ça. C'est exactement la deuxième possibilité. C'est à dire que je l'ai fait, puis après je me suis retrouvé à l'avoir fait. Y'avait pas plus de plan de carrière que ça. Ça s'est fait de manière vachement simple. Les Anglais disent « I got carried away » et bien moi c'est pareil. J'ai commencé par hasard et j'ai continué par habitude.
Vous avez énormément photographié les artistes sur scène et un peu moins en studio ? Pourquoi ? Êtes-vous plus attiré par le côté "libre" et "sauvage" de la scène ?
Ce n'est pas aussi simple que ça. En fait, je crois qu'en tant que photographe, je prends ce qu'on me donne. Si on me dit que je dois aller au concert de X, je suis content. Si j'ai le droit de rester sur le devant de la scène, je suis encore plus content. Si on me dit que je peux y rester une demi-heure, je suis encore plus content. Si on me dit que je peux aller retrouver le groupe après le concert, je suis encore encore encore plus content. Mais je n'ai pas de mode opératoire.
Le seul que j'ai, c'est que je ne parle plus aux médias et aux maisons de disque. J'ai une page dans Le Figaro lundi avec une photo de The Cure de 1980. Je fais une photo il y a vingt ans et elle me rapporte de l'argent aujourd'hui. C'est épuisant comme métier de se dire qu'on va mettre des années à rentabiliser son boulot. Au départ, on fait des photos pour qu'elles passent dans des journaux. Mais si les journaux qui sont sensés passer mes photos, me parlent comme de la merde, alors tout change. J'ai décidé de ne plus m'en préoccuper et mon travail est devenu vachement plus agréable.
La photographie c'est magnifique, mais la photographie numérique est affreuse. Jamais un magasin de photos ne montrera les deux l'un à côté de l'autre.
Avec Un œil sur la musique, vous retracez une carrière remarquable tant sur la durée que sur le contenu. Vous n'avez jamais eu envie d'arrêter ? Qu'est-ce qui vous a donné la force de continuer ?
Plein de fois ! Plein plein plein de fois. Je me suis souvent dit que j'allais faire n'importe quoi d'autre, que je n'en pouvais plus. Mais en fait j'aime bien ce métier. Et je crois que je suis assez bon, alors ça me poussait à continuer. J'ai des habitudes. Il n'y a pas de main qui sort du ciel pour me dire de faire ci ou ça. C'est réellement épuisant.
Vous êtes un fervent défenseur de l'argentique face au numérique.
Parce que le numérique est plus moche. La photographie c'est magnifique, mais la photographie numérique est affreuse. Jamais un magasin de photos ne montrera les deux l'un à côté de l'autre. En terme d'investissement, le numérique coûte un zéro de plus que l'argentique. Et c'est moche ! Donc, il faut vraiment ne pas aimer ni les gens ni la photographie pour faire ça. Il faut être déterminé pour défendre ce truc. Je ne suis pas en guerre, je ne défends rien du tout. Mais il faut les voir tous ces Badabeus avec leurs 5D à 3000 euros qui tombent en panne tous les trois ans.
Est-ce que ce n'est pas la société dans laquelle on vit qui pousse au numérique, à l'instantané, à vouloir des photos de concerts directement après la fin du spectacle ?
C'est une connerie ça ! Qui raconte ça ? Ça vient d'où, c'est quoi la source ? C'est une vision de l'esprit, ça n'existe pas. C'est une invention. Ce n'est pas vrai, personne ne sort d'un concert en réclamant des photos. Et même si je dois sortir des photos en trente minutes, j'y arrive aussi. Le chronomètre au-dessus de nos têtes n'existe pas.
Que vous inspirent les gens qui passent le plus clair de leur temps le portable en main pendant les concerts ?
Qu'est-ce que j'en pense ? Je pense que ça doit être incroyablement chiant pour les musiciens sur scène. Quand tu te mets à chanter devant des gens et que tu te retrouves face à une forêt de bras ça doit être affreux. Après c'est une technologie qui permet d'enregistrer donc ce serait bien con de ne pas le faire. Je préfère évidemment ce que je fais moi parce que c'est beaucoup plus beau mais voilà... Ça me fait un peu mal au cœur mais je ne vais pas partir en croisade contre ça.
Quelle est la photo dont vous êtes le plus fier aujourd'hui ?
Oh, plein. Il y en a plein. J'en ai deux ou trois qui passent leur temps à ressortir lors de présentations, de diaporamas. Assez souvent, j'ai une photo de Joe Strummer qui revient. Pareil avec une photo de Nirvana.
Serez-vous au concert de The Cure jeudi soir à Lyon ?
Ils devaient arriver à Lyon la veille pour faire un shooting mais ils viennent d'annuler pour n'arriver que le jour même. Mais oui, je serai au concert !
Quels sont les conseils que vous donneriez à quelqu'un qui voudrait suivre votre voie ?
Dans l'ordre : faire de l'argentique, évidemment, acheter les bons objectifs, c'est primordial, et arrêter avec vos bouchons sur vos objectifs, connards. On n'a jamais entendu un mec dire : « ouf, j'ai failli casser mon objectif mais heureusement j'avais mon bouchon. » Sinon, il faut développer ses films soi-même, et discuter avec les autres photographes.
Y'a-t-il un musicien que vous aimeriez photographier ?
Il y en a, mais c'est plus ancien. J'aurai aimé faire Rage Against the Machine ou Beck. Maintenant c'est un vieux monsieur, on s'en fout. Il fallait l'avoir en 1993/1994, quand il défonçait tout.
Un oeil sur la musique (éd. 123 ISO)
A la Taverne Gutenberg le jeudi 24 novembre à 18h pour le vernissage de l'exposition
Au CCO le mercredi 23 novembre pour l'inauguration de la Maison-Livre conçue par Looking for Architecture